Tentative d’intégration #2 : le playgroup alternatif

Si je suis sidérée d’apprendre que c’est à moi de confectionner une souris en feutre blanc (super utile, vous me direz) tandis que ma fille « joue librement » aves des jouets-en-matière-naturelle, je suis la seule à le laisser paraître.

Les autres mères ne mouftent pas lorsque Hippie en Chef distribue les aiguilles (je n’ai pas cousu depuis que ma mère a tenté de m’apprendre à coudre un bouton, jetant rapidement l’éponge devant mon évident manque de coopération).

Les autres mères ne protestent pas lorsque Hippie en Chef fait passer de minuscules morceaux de feutre coupés au millième de millimètre près pour correspondre exactement au « patron » (je ricane assez peu délicatement, repensant à mon soulagement lorsque j’appris que les cours d’arts plastiques s’arrêtaient à l’entrée au lycée).

Les autres mères – bon, certaines – parviennent même à sourire, apparemment ravies de cet exercice de couture impromptu (je proteste à mi-voix auprès de Hippie en Chef : « je n’ai pas cousu depuis l’âge de 14 ans et je ne comprends rien ! » – en vain).

Je suis vraisemblablement la seule mère à trouver surréaliste cette scène où une dizaine de femmes adultes cousent, tout sourire, de microscopiques souris de feutre tandis que leur marmaille tente de colorier à l’aide de simili-crayons-en-matière-naturelle (MiniPrincesse, toujours pleine de ressources, a réussi à mettre la main sur un bon vieux stylo-bille noir sorti d’on ne sait où). Tout ça pour « se montrer en état de créativité ».

Je suis si indignée par ce nouvel esclavage librement consenti qu’en bonne Française, j’entame une silencieuse grève sur ma chaise. Je vais même jusqu’à m’intéresser aux gribouillages de MiniPrincesse (« Oh, comme c’est joli ! C’est quoi ? Un bonhomme ? Ah, un soleil ! Très bien ! »).

"Maman, regarde : chien" !" (véridique)

« Maman, regarde : chien » ! » (véridique)

En bonne Anglaise, Hippie en Chef fait mine de ne rien remarquer (ou ne remarque rien). Sa seule contribution à l’animation du groupe se borne à deux interventions, prononcé d’un ton égal :
– (mummies, juste pour vous informer que j’ai égaré mon aiguille)

Avoir perdu une aiguille au milieu d’une douzaine de tout-petits marchant pieds nus ou à quatre pattes ne l’inquiète guère.

Puis, quelques minutes après :
– (surtout, ne vous dépêchez pas, nous pourrons terminer cette activité mercredi prochain) Plutôt mourir.

Pendant que les mères s’affairent à leurs souris respectives, j’observe avec satisfaction que la plupart d’entre elles prêtent si peu d’attention à leur tenue que pour une fois, je parais presque bien habillée. Les joies simples sont parfois les plus douces.

Enfin, au bout de quarante-trois longues, très longues minutes, nous rangeons enfin aiguilles (celles qui restent), patrons et faux crayons. Autour de moi, j’aperçois quelques souris qui ressemblent à des souris. La mienne traîne, négligée, en plusieurs morceaux (j’ai quand même réussi à découper le patron), sur la table. Je la fais disparaître discrètement.

Voici venu le moment préféré de MiniPrincesse : la collation. En Angleterre, si l’enfant ne s’est pas alimenté entre son porridge de 8 heures et le curry de 11h30, on craint pour sa santé. D’où l’importance du snack. Et bio ou pas, le menu du snack anglais semble immuable où que j’aille : galettes d’avoine et/ou de riz accompagnées de raisins secs. Si c’est Byzance, on y trouve aussi des pommes ou des clémentines. Bingo. Avec une petite surprise : pour mériter le snack,rien ne vaut une petite bénédiction païenne, entonnée par Hippie en Chef.
– (merci pour ce repas merci pour le soleil merci pour la terre etc)

A peine MiniPrincesse a-t-elle englouti son dernier raisin sec (et piqué ceux abandonnés par sa voisine) que je me lève pour aller m’acquitter de mes trois livres, espérant ainsi pouvoir m’échapper de cette quatrième dimension. Hippie en Chef hausse un sourcil et me dit : – (le paiement ne s’effectue qu’à la fin, le playgroup n’est pas fini)

Vu l’accueil que tu m’as réservé, je ne risque pas de le savoir, espèce de beatnik, me retiens-je de lui lancer.

J’endure donc encore un peu de freeplay, quelques chansons en l’honneur du soleil et l’incompréhension de MiniPrincesse devant le fils de Hippie en Chef qui, à peine sa mère partie de la pièce, se met à donner des coups de pieds à tout ce qui bouge (« Ne t’inquiète pas ma chérie, ce petit garçon de cinq ans doit être contrarié que sa maman ne l’ait pas encore allaité depuis le snack. Ou alors il aimerait bien porter des chaussons normaux plutôt que des babouches rose vif »).

Enfin, nous sommes libres.
– Alors, MiniPrincesse, ça t’a plu, ce playgroup ?
Ma fille, flairant le piège, ébauche une prudente grimace.
– Bizarre, dame ? hasarde-t-elle.
– Oui, je suis d’accord, ma puce, la dame était un peu bizarre.

La vérité sort de la bouche des enfants.

Véridique - c'était plein

Véridique bis : c’était plein

Tentative d’intégration #2 : le playgroup alternatif

Après l’échec retentissant le succès en demi-teinte du cours de musique pour mouflets, voici le récit d’une tentative d’intégration à la vie de yummy mummy beaucoup plus récente : le playgroup alternatif. Qu’entends-je par alternatif ? Ce playgroup se déroule au sein d’une école à la pédagogie « différente » – dont je tairai le nom – et dont il constitue « un excellent moyen de découvrir le mode d’éducation ». La rapide présentation sur le site Internet reste consensuelle : un temps pour jouer librement (freeplay), une activité (l’exemple donné est le dessin, qu’on peut difficilement qualifier d’exercice révolutionnaire) suivie d’une collation bio (évidemment) et de chansons. OK, les jouets sont exclusivement fabriqués à base de matières naturelles (bois, tissu, coquillages), ça a l’air d’être très important – MiniPrincesse, bien qu’habituée aux plastiques criards, devrait s’en accomoder.

Voici le décor planté.

Un beau matin ensoleillé, me voici donc accompagnée de MiniPrincesse, à descendre au sous-sol d’un imposant bâtiment en briques pour parvenir à une porte à laquelle on peut lire « Parent and Toddler Group ».

Je frappe. Pas de réponse. Prenant mon courage à deux mains, je pénètre dans une petite pièce pourvue d’une longue table à hauteur d’enfant et d’une dizaine de petites chaises d’un côté, et de jouets-en-matières-naturelles de l’autre : deux chevaux à bascule, une grande tente en patchwork, des poupées vaguement vaudous, etc. Deux mamans sont assises sur des coussins à même le sol, leurs enfants sous les yeux. De l’autre côté de la pièce, une jeune femme – 35 ans environ, oui c’est jeune – coud placidement un vêtement non identifié de couleur non identifiée (khaki ?), un marmot de quatre ou cinq ans littéralement agrippé à sa jupe.

Des jouets NA-TU-RELS (et un peu effrayants)

Des jouets NA-TU-RELS (et un peu effrayants)

Je lance timidement un « hello » à la cantonade. L’une des deux mamans lève la tête et me sourit gentiment. La couturière, imperturbable, se contente d’un « hello » en retour avant de poursuivre son ouvrage.

La perplexité m’envahit. Le playgroup était censé démarrer à 10h et il est 10h04. Déjà quatre minutes de retard ! Qui plus est, l’une des mamans a conservé ses chaussures aux pieds, l’autre pas. Que faire ? L’animatrice – je suppose qu’il s’agit d’elle – porte d’indescriptibles pantoufles à longs poils noirs et marrons. Et je remarque par la même occasion que sa jupe n’est pas banale non plus : une sorte de patchwork de tissus sans nul doute tous na-tu-rels et bien évidemment de longueurs différentes.

Bon. Dans le doute, je me déchausse et indique à MiniPrincesse de faire de même. Pendant ce temps, d’autres mères arrivent, et – oh, comme le temps passe vite, déjà douze minutes de retard ! – nous voici une dizaine d’adultes et autant d’enfants, sans compter les nouveaux-nés évidemment portés en écharpe par leurs génitrices.

L'écharpe de portage, c'est le bonheur

L’écharpe de portage, c’est le bonheur

L’animatrice, suivie de très près par son fils, fredonne un indescriptible « om », ce qui semble marquer le signal de se mettre en cercle.
– (hello, everyone)

Ah, donc elle parle. Tellement bas que je peine à distinguer ce qu’elle dit, et sans ponctuation apparente, mais elle parle. J’ai l’impression d’assister à un spectacle d’hypnose, tellement elle a l’air détendue.
– (let’s start)

Et elle se met en mode hippie à chantonner :
– (bonjour la lune bonjour le soleil bonjour les cailloux bonjour la terre bonjour l’air bonjour le feu)

Bien bien bien. La nature c’est important. D’ailleurs je suis une maniaque du recyclage. J’imite donc les autres mères, plaque un sourire Colgate sur mon visage et me joins aux festivités païennes. Après quelques minutes d’épanouissement musical, la Hippie en Chef (ainsi que je l’ai d’ores et déjà surnommée dans ma tête) annonce, ou plutôt murmure :
– (aujourd’hui nous allons faire des souris blanches en feutre)

Les mères, en chœur, à l’adresse de leur progéniture, plus sourire Colgate que jamais :
– WAOUH !!!

La progéniture :
– …

Ce qui ne l’empêche de s’installer avec diligence à table. Hippie en Chef en paraît contrariée (autant que faire se peut lorsqu’on pratique la méditation à raison d’une heure par jour). – (non aujourd’hui ce sont les mamans qui vont faire l’activité)

Qu’entends-je ?! – (c’est très bon pour vos enfants de voir leur mère en état de créativité)

Heu, si j’étais capable de me mettre « en état de créativité », 1. ça se saurait et 2. je ferais tranquillement de la créativité à la maison plutôt que de me taper 40 minutes à pied pour emmener ma fille à un playgroup alternatif où c’est moi qui me tape tout le boulot.

La suite au prochain épisode…

Tentative d’intégration #1 : le cours de musique bébé en anglais

Mes trois friend dates s’étant déroulées sans anicroche (« Alors, ça fait combien de temps que tu habites à Londres ? Ton enfant est trop mignon (ben voyons) ! Il a quel âge ? Il dort bien ? etc. »), je décrète qu’il est temps de passer à la vitesse supérieure : faire la connaissance de jeunes-mères-sympas-et-même-pas-forcément-françaises.

La quête de l’insaisissable amie anglaise avait constitué l’un de mes fers de lance lors de l’arrivée à Londres il y a cinq ans (gloups). Las. Introuvable la copine anglaise, introuvable elle est demeurée. La seule chose qui me rassure, c’est que je ne suis visiblement pas la seule à me heurter au mur de cordialité de la perfide Albion.

Mais je n’ai pas dit mon dernier mot. Car je dispose désormais d’une arme de choc ; en l’espèce, un bébé de cinq mois, MiniPrincesse. Et pour établir des occasions de côtoyer de l’Anglaise, d’innombrables possibilités s’offrent à moi. Yoga bébé, cours de cuisine, poterie, langue des signes, heure du conte, danse, chant… dès la naissance, les petits Anglais (fortunés, cela va sans dire) ont à leur disposition un programme d’une richesse comparable à la prestigieuse université à laquelle leurs parents aspirent sans nul doute pour eux.

Décontenancée par cette avalanche de propositions qui, toutes sans exception, se targuent d’être « essentielles pour le bon développement intellectuel et émotionnel de mon enfant », je jette finalement mon dévolu sur une activité musicale quelconque. Celle-ci promet de « poser les bases de l’avenir musical de mon enfant », rien de moins.

Mes ambitions à moi sont nettement plus prosaïques. Si cette demi-heure normalement facturée au prix d’un cours particulier de maths de terminale (le cours à l’essai est gratuit) peut arracher un ou deux sourires à MiniPrincesse et me permettre d’échanger quelques mots autres que « coucou caché » et « tu as bien dormi, ma petite choupinette chérie ? », ça sera déjà ça.

Mais cela ne devait pas être. Vu la tête que tirent les mères présentes lorsque MiniPrincesse et moi arrivons dans la petite salle au premier étage d’un centre de loisirs, il transparaît rapidement qu’elles seraient plus à leur place à un groupe de soutien à la dépression postnatale qu’à un groupe de musique.

Un cours accueillant dans un lieu chaleureux

L’animatrice (« My name is Byony !!! »), semble en revanche avoir abusé du Prozac en cette pluvieuse après-midi.

So, mummies !!! (Alors, les mamans !!!)

Silence consterné, ou poli, c’est au choix (ne négligeons pas la réserve britannique).

Bryony réalise qu’elle a oublié quelque chose. Ou plutôt quelqu’un. Elle s’écrie :

So, mummies and babies !!! (Alors, les mamans et les bébés !!!)

Nouveau silence.

Today, we’re going to have FUN !!! (Aujourd’hui, on va bien s’AMUSER !!!)

Ce qui, si vous avez bien suivi, fait pas moins de douze points d’exclamation en trente secondes, soit presque un point d’exclamation toutes les deux secondes.

Un murmure modérément enthousiaste s’élève du cercle de mamans. Les habituées – ou du moins, celles qui ont l’air de savoir ce qu’elles font là – hasardent un hésitant « Yay » à l’adresse de leur progéniture.

Et la dite progéniture, pendant ce temps ?

L’un des bébés s’assoupit dans les bras de sa mère, insensible au fait que ça fait cher la minute de sommeil. Deux bébés pleurent. MiniPrincesse, perplexe, se cramponne à moi. La bonne foi m’oblige à reconnaître que l’humeur des « habitués » varie au moins de neutre à plutôt souriante. C’est peut-être parce qu’eux ne s’effraient plus des hurlements de Bryony.

Au cours des 23 minutes qui suivent, il est beaucoup question d’un singe très joueur (« Where’s monkey ? »), d’une comptine anglaise à laquelle je ne comprends rien à part que Bryony veut que les mummies se lèvent à intervalles réguliers (hmmph) et de percussions sur lesquelles notre chère animatrice, momentanément contrariée (je crois même l’entendre jurer), ne parviendra jamais à remettre la main.

– Alors, ça vous a plu ? Souhaitez-vous vous inscrire pour le trimestre ? me lance Bryony à la fin du cours.

Je cogite deux secondes et demie. MiniPrincesse n’a pas esquissé la moindre ébauche de sourire, je n’ai pas osé adresser la parole aux mères brésiliennes, polonaises et américaines présentes (pas l’ombre d’une Anglaise) et estime avoir eu de la chance de ne pas subir de perte auditive après 30 minutes de Bryony.

De deux choses l’une : soit cette femme ne doute de rien, soit elle n’a pas remarqué que MiniPrincesse et moi aurions préféré être chez le dentiste plutôt qu’ici.

J’arrive néanmoins à faire preuve d’une courtoisie toute britannique afin d’éluder la première question pour répondre à la deuxième sans pouffer de rire :

– Je vais réfléchir, merci.

Finalement, pour un bébé de cinq mois, chantonner Frère Jacques à la maison (même faux) c’est très bien aussi.

Comment préparer un week-end O-PTI-MAL

Cela fait maintenant six mois que je suis à Londres. Mes journées chez SuperConseil sont pépères mais pas désagréables (forcément, ça change la vie de rentrer chez soi à 17h30 au lieu de 21h), mes soirées, plutôt vides, et les WE… inégaux, dirons-nous.

De deux choses l’une :

– Soit Prince et moi sommes à Londres en tête-à-tête. L’occasion idéale de découvrir la ville en déambulant dans les rues, main dans la main… Notre enthousiasme se heurte vite au principe de réalité : les balades en amoureux, c’est nettement moins romantique sous la pluie de Londres que dans les films américains. Surtout quand on a les pieds mouillés. 

(Vue de Londres sous la pluie depuis notre canapé, où nous finissons par passer le WE)

– Soit je rentre à Paris. Oui oui, sans Prince : ce n’est pas parce qu’il m’aime qu’il a envie de partager mes tisanes party entre copines.
Là, c’est toute une gymnastique qui commence.

J-14 : début d’un grand festival d’emails (envoyés plus ou moins discrètement de chez SuperConseil). Deux semaines, c’est en effet le préavis minimum requis par mes très populaires amis pour me réserver un « créneau » dans leur WE – « Attends, t’as déjà oublié ce que c’était la vie parisienne ? Bien sûr que si, j’ai envie de te voir, mais je suis super busy ! Je regarde ce que je peux faire, et je reviens vers toi ». Sans commentaire). Tout commence donc par un envoi massif mais personnalisé de mails ayant généralement pour contenu une variation du texte suivant :

– Salut Truc / Truquette / Machin / Machine, je suis de passage à Paris ce WE et ça me ferait très plaisir de te voir. Quand es-tu disponible ? »
Première phase accomplie.

J-13 à J-6 : recueil des réponses dans un magnifique tableau Excel réalisé pour l’occasion (je ne bosse pas dans un cabinet de conseil pour rien). Cela me permet de prendre la mesure du problème : Truquette n’est dispo que pour un apéro, mais Machin aussi, et comme ils n’ont rien à se dire, impossible de les voir en même temps. Par ailleurs, Machine a un mariage, et Truc n’est pas sûr d’être libre, mais peut-être que si, entre 14h et 16h uniquement. Argh. Début de la troisième phase.

J-6 à J-3 : s’ensuit une sorte de Tetris (ah, Tetris, soupire l’ado en moi) mondain où, au lieu de d’empiler le plus grand nombre possible de briques dans un espace restreint, il s’agit d’enchaîner le plus de repas possible dans un temps plus que limité. Truc étant finalement dispo pour un déj dans le 14e (« Mais il faut que je décolle à 14h »), Truquette pour un apéro dans le 18ème, et Machin uniquement pour un dîner si c’est près de chez lui en banlieue… combien de kilos va prendre Eva in London en 48 heures ?

J-2 : inévitable supra optimisation de dernière minute suite au mail de Machin : « Désolé Eva in London, j’avais complètement oublié qu’on fêtait les 60 ans de mon père samedi soir, on peut se voir à un autre moment ? ». Ben, comment te dire… Non. Et en plus, maintenant, il faut que je me trouve un plan pour le créneau le plus stratégique du WE.

J-1, 23h30 : bouclage de valise – d’ailleurs étonnamment volumineuse pour 48 heures de papotage. Je suis sûre d’avoir oublié quelque chose… Ah, ça me revient : je glisse dans la poche avant (où il passera d’ailleurs le WE) mon joli fichier Excel imprimé en couleur (merci, SuperConseil).

A vos marques, prête, partez, Eva in London.

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Et vous, les exilés à Paris, Londres ou Moscou, comment gérez-vous les retours au bercail ?

Comment définir l’amitié, ou la théorie des cercles

Lorsque j’ai suivi Prince à Londres, je me suis juré que je ne conjuguerais pas expatriation avec ermitation. Je m’explique : des amis, je n’en ai déjà pas beaucoup. J’ai donc intérêt à garder ceux que j’ai.  Je pourrais dire que j’ai toujours préféré la qualité à la quantité, ou plus simplement avouer que, contrairement aux apparences, je suis plutôt timide (j’en vois déjà qui ricanent, au fond) et particulièrement mal à l’aise en groupe.

Reprenons : je n’ai pas beaucoup d’amis. Même en additionnant le cercle 1, le cercle 2 et le cercle 3, je peine à franchir la vingtaine. « Les cercles, késaco ? » demandent les distraits du fond de la classe.

Ah… la théorie des cercles, un concept estampillé Eva in London. Petit cours, magnifique dessin Powerpoint à l’appui.

Où que vous vous situiez sur l’échelle de la sociabilité, la théorie des cercles fournit un langage commun. Explication :

– Le cercle 1 est composé de vos amis à-la-vie-à-la-mort : ceux qui vous ont vue inconsolable après que Faux Prince vous ait jetée comme une chaussette sale, pas coiffée le matin (vision d’épouvante s’il en est), pas coiffée le soir ET en pyjama rose, complètement paf en soirée à chercher un nouveau Prince (mais toujours pas coiffée)… bref. Ceux dont vous savez que vous pouvez les appeler à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, parce que… ben, vous l’avez fait, et ils vous adressent encore la parole.

– Le cercle 2 : ah, compliqué et subtil, le cercle 2 ! S’il est généralement facile de définir qui fait partie du cercle 1, le cercle 2  est plus complexe. Il se compose d’amis certes proches… mais sans doute pas assez pour leur demander tout et n’importe quoi. Dans le cercle 2, tout est affaire de circonstances : la vie pourra vous rapprocher (vous vous découvrez une passion commune pour l’origami, ou l’histoire du Moyen-Âge, peu importe) ou vous éloigner (vous vous découvrez une antipathie pas du tout commune pour son nouveau Prince).

– Le cercle 3 : les copains que vous voyez rarement, mais avec plaisir. Vous restez suffisamment proches pour pouvoir les appeler juste pour leur demander un service… mais vous omettrez de leur raconter votre dernière dispute avec Prince (qui est encore rentré tard).

– Le cercle 4 se résume en un mot : « connaissances ». Les gens qui situent qui vous êtes, s’arrêtent pour vous faire la bise dans la rue et, si vous avez de la chance, se souviennent de votre prénom (alors que vous avez déjà du mal à remettre leur visage). Colossal et capital pour les grands mondains, réduit à peau de chagrin dans mon cas.

Les cercles font donc office de mètre-étalon de l’amitié. Mais ils ont aussi le mérite de donner lieu à des débats enflammés. Votre copine d’enfance qui n’a pas répondu à vos huit derniers mails mérite-t-elle encore de faire partie du cercle 1 ? Ou doit-elle être reléguée en deuxième division, euh, pardon, au cercle 2 ? Votre collègue de travail (relation épineuse s’il en est) et camarade de gym (plus délicat encore, sueur et pantalon de jogging oblige) est-elle digne de passer du cercle 4 au cercle 3 ?

J’espère avoir été claire avec ce petit cours sur la théorie des cercles.

Ainsi, même en étant généreuse, les amis de mes trois cercles se comptent sur les doigts des mains et des pieds. Et je suis déterminée à ne pas les perdre juste parce que j’ai traversé la Manche.

Cela va s’avérer être un exercice de haute voltige…

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Et vous, à quoi ressemblent vos cercles ? Avez-vous une théorie concurrente à proposer ?

Et pour celles et ceux qui aiment les théories : celle-ci est une véritable perle en la matière (en VO, malheureusement).

Rien ne sert de courir, il faut partir à point (2)

Comme dirait l’autre (le monsieur très sérieux et très fluo du club de course à pied), nous n’avons pas les mêmes valeurs. 

Cette impression se confirme nettement lorsque, après un grave hochement de tête, la trentaine de Gentils Membres s’élance d’un même corps – et très, très vite –  en direction de Hyde Park.

Je me retiens de m’écrier piteusement « Eh, attendez-moi ! » et me rapproche tant bien que mal de deux coureuses qui ont l’air d’avoir à peu près mon âge :

– Salut, je m’appelle Eva in London.
– Salut Eva, moi c’est Amy, me répond Coureuse de Gauche.
– Et moi c’est Sarah, ajoute Coureuse de Droite.

Une vague tentative de lancer la conversation – après tout, ne perdons pas de vue que je suis là pour me faire des amis – s’avère vite irréaliste. J’avais oublié que :

1. Faire la conversation en anglais, c’est déjà pas évident
2. Faire la conversation en courant, non plus – surtout quand on est au bord de l’apoplexie au bout de trois minutes
3. Mais alors faire la conversation en courant ET en anglais, c’est carrément mission impossible.

De toute manière, au bout d’une vingtaine de minutes, Coureuse de Droite nous a distancées depuis belle lurette pour rejoindre ses amis, les vrais coureurs. Quant à moi, je me résous à mettre ma dignité de côté. Entre deux ahanements, je pose à Coureuse de Gauche la seule question qui vaille :

– C’est… bientôt… fini ?

Dis oui, dis oui, parce que quelle que soit la réponse, là, je m’arrête.

Coureuse de Gauche, surprise :

– Ah non, on en est à la moitié, pourquoi ?

Ben, parce que je vais mourir, espèce de truie britannique, me retiens-je de répondre.

Au lieu de ça, ayant déjà intégré que la politesse était une vertu cardinale ici, je me contente d’un simple :

– Je suis… un peu… fatiguée.

Coureuse de Gauche doit se sentir l’âme d’une coach ou d’une bonne Samaritaine, car elle ne se laisse pas démonter :

– Allez, courage ! L’essentiel, c’est de ne pas s’arrêter, même si tu ralentis. On y va ensemble. Let’s do this ! 

Fut dit, fut fait. Coureuse de Gauche, pardon, Amy, m’a ainsi traînée à grands coups de positive thinking jusqu’à notre retour à la salle de gym. Une petite douche, et hop, mes merveilleux futurs amis anglais se sont dirigés vers le pub. Moi, clopin-clopant, je suis tout juste parvenue à rentrer m’effondrer sur mon bon vieux canapé.

Qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour se faire des amis.

Dix bonnes raisons de ne pas faire de sport, et une première tentative de se faire des amis à Londres

C’est marrant, mais il y a des sujets qui m’inspirent plus que d’autres. Tiens, le sport, par exemple. Tout comme je trouve très facilement plein de raisons de ne pas travailler, j’en vois toujours plein pour ne pas aller courir :

  1. Il fait froid.
  2. Il pleut.
  3. Il fait froid ET il pleut (on n’est pas à Londres pour rien).
  4. Avec mon non-équipement de sport, j’ai l’air d’un épouvantail.
  5. Ca me déprime quand les papys de 70 ans me dépassent à toute allure.
  6. Je me suis lavé les cheveux il y a trois jours, ça serait dommage de les re-salir.
  7. Si on ne perd du poids qu’au bout de 20 minutes d’ « activité », je suis pas près d’y arriver. Sauf si par activité, on entend « regarder la télé », « dormir » ou « jouer à Civilization ».
  8. D’ailleurs, c’est l’heure de la sieste, là, non ?
  9. Ou alors d’appeler Maman, je lui ai pas parlé depuis deux jours.
  10. Entre la pollution et les chocs pour les genoux, c’est même pas bon pour la santé.

Moi j’dis, vaut mieux rester chez soi. D’ailleurs, c’est exactement ce que je faisais (à savoir rien) jusqu’à ce qu’un ex me convainque de me mettre au jogging. Je lui avais pourtant opposé ma super-excuse-tellement-imparable-qu’elle-m’avait-valu-une-dispense-au-bac : « asthme à l’effort ».

Il ne lui a fallu qu’une semaine pour balayer mon alibi d’un revers de main et me mettre un petit programme Men’s Health sous le nez (sa lecture de prédilection ; ce n’est pas un ex pour rien) : « Remettez-vous au jogging et perdez vos poignées d’amour en deux mois ! »

J’ai compris l’allusion et me suis donc lancée dans le fameux programme, résignée. Tout d’abord, alterner trente secondes de jogging et une minute de marche. Trop facile ! Puis, une minute de jogging et trente secondes de marche – on dirait pas, comme ça, mais c’est vraiment dur. Puis deux minutes de jogging… puis cinq… jusqu’à, deux mois plus tard, atteindre ces fameuses trente minutes d’affilée.

C’en était bel et bien fini de mon asthme à l’effort. Je dois même avouer que ma conversion au sport m’a rendu bien des services, en particulier lorsque je préparais mes concours d’école de commerce. C’est sans doute grâce à mes tours de stade que je n’ai pris « que » quatre kilos en deux ans, et ce en dépit d’une consommation effrénée de chocolat.

Bien des années plus tard, me voici toujours aussi peu enthousiaste à l’idée de bouger mon corps, mais plus empâtée et surtout un peu esseulée. Maintenant que j’ai un logement fixe, un Prince, et un emploi, il est temps de me trouver DES AMIS. Et pas des Français, hein, ça je connais, y en a plein en France : des vrais autochtones, des AN-GLAIS.

Pour cela, j’ai décidé de tester le club de course à pied – concept inconnu en France où, pour courir, on se débrouille très bien tout seul. Je n’ai pas eu à chercher bien loin, puisqu’il se trouve que j’habite tout près du plus important club de Londres, le Serpentine Running Club, qui regroupe pas moins de 2336 personnes. Ca, ça s’appelle mettre toutes les chances de son côté : on peut espérer que sur ces 2336 gentils membres, il y en ait au moins un qui veuille bien être mon ami.

Le rendez-vous hebdomadaire ayant lieu à la salle de gym dans dix minutes, je farfouille frénétiquement au fond de mes tiroirs. Comme on pouvait s’y attendre, la pêche est maigre : un vieux pantalon de jogging beige informe, un soutien-gorge de sport qui a connu des jours meilleurs, et un T-shirt de coton qui promet de belles auréoles sous les aisselles. Je vous avais bien dit que j’étais à la pointe du non-équipement.

Je sens qu’avec cette touche d’élégance bien française, je vais faire un malheur.

Et vous, quelles sont vos raisons préférées de ne pas faire de sport ? Ou (soyons politiquement correcte, pour une fois), au contraire, d’en faire ?

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All by myself

Je pressentais que cela pourrait arriver, mais c’est néanmoins une mauvaise surprise : j’ai beau aimer Prince, je n’aime pas, mais alors pas du tout, vivre avec lui. 

Au risque de faire ma Bridget Jones (contaminée par l’atmosphère ambiante ?), et d’avoir perdu mes lecteurs masculins dès la première ligne, j’assume. Ce sentiment se fait plus net avec chaque paire de chaussures qui traîne dans le salon/cuisine, chaque ronflement qui me réveille en sursaut, chaque chanson lancée à plein volume dans un appartement de 32 mètres carrés – pure estimation bien sûr ; on a vu que les Anglais ne s’embarrassaient pas de ce genre de basse préoccupation matérielle.

Bref, Prince m’énerve. 

Pour couronner le tout, on dirait qu’il est tout le temps là. En tout cas, tout le temps là quand il ne faut pas : de 6h47, heure à laquelle son réveil retentit pendant dix minutes sans le réveiller (mais moi, oui), à 22h30, où il me pique toute la couverture et prétend que les trois quarts du lit lui reviennent – et puis, lui, il travaille, il faut donc lui assurer un sommeil de qualité. En passant par son retour du boulot où il lance son manteau en vrac sur notre unique meuble (un canapé où on tient à peine à deux en se serrant) et le dîner où il insiste pour regarder une obscure série qui ne fait rire que lui.

Et ne parlons pas des WE.

Prince m’énerve.

Le phénomène est d’autant plus étrange que, durant la journée, il me manque. Plus de 11 heures toute seule par jour, il y a de quoi perdre un peu la boule même quand on est à peu près équilibrée à la base (ce qui est loin d’être mon cas). Résultat : à peine Prince a-t-il franchi la porte que mon visage passe par les expressions suivantes :

–  Soulagement : je ne suis plus seule !
–  Curiosité : petit coup d’œil à la montre – à quelle heure rentre-t-il cette fois-ci ?
–  Concentration : je calcule que j’ai été seule pendant… 11 heures et 43 minutes exactement. Soit 11 heures et 43 minutes de trop.
– Agressivité : là, tous les prétextes sont bons. Il rentre trop tard, il a oublié le lait pour demain matin, il a encore balancé son manteau sur le canapé, il rentre trop tard…
– Culpabilité : un peu tard sans doute, je réalise qu’après une journée de 11 heures et 43 minutes dans un nouveau boulot, Prince n’a sans doute pas envie d’être accueilli en ennemi mortel. Surtout quand l’accueil en question est assuré par un être de sexe non identifié, non coiffé, non maquillé, et ayant pour tous habits un bas de pyjama rouge, un haut de pyjama rose superposé à un pull vert, et un foulard noir.

En somme, heureusement que je commence à bosser lundi.

Comment briller en société… ou pas

– Tu ne devrais pas avoir le droit de parler aux gens. En tout cas, pas aux inconnus, soupire Prince en refermant la porte, consterné. 

Après ce soir, je suis bien forcée de lui donner raison. La plupart de mes proches sont des amis de longue date, qui sont plus ou moins habitués à mon manque de tact et les dégâts occasionnés sont généralement minimes. Enfin, la plupart du temps.

Sur un coup de tête, j’avais décidé d’inviter nos voisines du dessus à venir prendre un verre à la maison. Prince n’étant pas très liant, l’aspect « vie sociale » de notre couple m’incombait en effet à Paris ; alors, pourquoi pas à Londres ?

Il faut savoir que, sur le papier, nos voisines sont probablement le fantasme d’une bonne partie de la gent masculine : un couple d’Asiatiques lesbiennes. Consciente d’être sur un terrain plus que glissant en écrivant ces lignes, je préfère couper court à l’imagination : la première est jolie, sans plus, tandis que l’autre… eh bien, ressemble plus à un adolescent grassouillet et binoclard qu’à la vision sensuelle qu’en ont les innombrables individus qui tapent avec espoir dans Google ces deux mots magiques : « Asiatiques lesbiennes ».

Si Prince, lui, n’affiche pas sa déception en faisant la connaissance des deux jeunes femmes (qu’il n’avait pas encore rencontrées ; il pouvait donc encore nourrir l’espoir d’une soirée grivoise), c’est moi qui sombre rapidement dans le politiquement incorrect.

Je ne suis pas complètement sûre d’avoir affaire à un couple jusqu’à ce que l’une pose négligemment la main sur la cuisse de l’autre. Bon, là, je suis fixée. Avant que vous m’accusiez d’être coincée, voire un peu homophobe sur les bords, je vous arrête tout net : c’est juste qu’à force de tenter désespérément d’avoir l’air normale, je débite encore plus d’âneries que d’habitude.

Au début, je me tiens encore à peu près correctement. Musique d’ambiance, chips aux parfums psychédéliques comme les Anglais savent si bien en inventer : 

(en l’occurrence, mangue et cheddar, mais on avait le choix entre cheddar/échalotes caramelisées, vinaigre, roast beefs et chips de panais… et encore, ce n’est qu’un mince échantillon), bonne bouteille de vin : nous réussissons à trouver des sujets de conversation pendant pas loin d’une heure. Un exploit pour Prince qui, de manière générale, pense qu’il vaut mieux éviter de parler aux inconnus, et pour moi qui malgré les apparences suis très facilement intimidée.

Puis, catastrophe : un silence qui s’éternise. Un soupir d’ennui. Je perds le contrôle de la situation et, prête à tout pour relancer la conversation, je m’écrie (prise de court / prise d’une soudaine inspiration malheureuse) :

– Vous avez déjà regardé la série The L-word ?

Même haussement de sourcils chez nos deux interlocutrices. Consciente de creuser ma propre tombe, je poursuis néanmoins :

– Mais si, vous savez, la série qui parle d’un groupe de lesbiennes, ça se passe à Los Angeles…

Deux paires d’yeux, non, trois en comptant Prince à côté de moi, me dévisagent comme si je venais de me mettre à danser toute nue en pleine réunion de travail. Non, pardon, plus horrifié que ça. Je m’enfonce et bégaie :

– Vous devez en avoir entendu parler… elle a eu beaucoup de succès…

Pathétique tentative de rattrapage : je voulais évidemment dire que si elles en ont entendu parler, ce n’est pas parce qu’elles sont lesbiennes, ça ne me pose aucun problème bien sûr, mais parce que la série est très populaire. Pas qu’auprès des lesbiennes, hein, auprès de gens comme moi aussi.

Nos voisines prennent congé peu après. Prince souligne négligemment que généralement, il est mal vu de faire allusion à la sexualité de ses invité(e)s, en particulier la première fois qu’on les rencontre. 

J’ai dû oublier les règles de base de la vie en société en traversant la Manche.

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