Tentative de réintégration professionnelle (ou comment « reprendre le travail » après un bébé, quand on n’a pas de travail)

– Tu crées ZERO valeur pour la société.

Voilà ce qu’avait décrété un « ami » à propos de ma situation professionnelle – au chômage – lorsque j’ai débarqué à Londres pour y suivre Prince. Comme disent les Anglais, avec de tels amis, a-t-on encore besoin d’ennemis ?

Enfin. J’ai pris acte de sa remarque, et me suis consacrée quatre années durant à l’étude de données de salaire chez SuperConseil. O joie et épanouissement.

Aujourd’hui, j’ai beau m’occuper tant bien que mal de MiniPrincesse depuis six mois déjà, force est de constater que le regard que la société porte sur moi n’a pas changé. Et maintenant qu’ « on » (ma mère / ma belle-mère / ma meilleure amie / ma pharmacienne) a épuisé le sujet de mon accouchement (péri ou pas péri, est-ce que j’ai eu très mal ou très très mal, combien pesait MiniPrincesse au gramme près et autres questions passionnantes), « on » (ma mère / ma belle-mère / ma meilleure amie / ma pharmacienne) n’a de cesse de me demander quand je compte « reprendre le travail ».

Et chacune a son avis sur la question.

Ma mère, dont le congé maternité n’aurait duré que quelques heures, le temps de rentrer et de sortir de la clinique, plisse le nez à chaque fois qu’elle me demande quand mes « vacances » prendront fin.

Ma belle-mère, qui, à chaque enfant, s’est arrêtée trois ans pour les « élever elle-même », fronce les sourcils lorsqu’une malencontreuse remarque (« Prince, au moins, a cinq semaines de congés par an ») lui laisse penser que  je ne baigne pas dans la félicité absolue.

Ma meilleure amie, qui « comme tout le monde » en France a repris le boulot lorsque son bébé a atteint le grand âge de deux mois et demi, me lance des regards courroucés lorsque je lui explique que MiniPrincesse « est encore si jeune pour la confier à des inconnus ».

Ma pharmacienne pose la question, mais au fond, s’en fiche comme de sa première boîte de Prozac. C’est toujours ça.

Yummy mummy

Quoi qu’il en soit, je suis bien en peine de répondre. Prise en flagrant délit de désorientation professionnelle, je marmonne vaguement « sais pas », « tellement épanouissant de voir MiniPrincesse grandir » et « on verra ». Je ne peux même pas arguer d’un hypothétique congé parental puisque j’ai eu la brillante idée de démissionner juste avant de tomber enceinte. Oui, j’adore m’occuper de MiniPrincesse. Oui, sans aide de l’Etat providence français, mon salaire couvrira à peine la nounou / nursery / childminder. Mais si je continue à converser diversification et développement moteur, c’est bientôt moi qui aurai besoin de soins.

Je n’en suis d’ailleurs pas à ma première tentative de réintégration professionnelle.

Lorsque MiniPrincesse avait trois mois, j’ai manqué tomber de ma chaise en découvrant une annonce de job trop beau pour être vrai :

« Poste flexible pour Français habitant à Londres »

Il s’agissait de s’occuper à distance (vive les nouvelles technologies) du site français d’une entreprise anglaise, fondée par un couple du quartier.

C’était effectivement trop beau pour être vrai, le couple en question passant plus de temps à s’écharper et s’affubler de noms d’oiseaux qu’à cogiter sur leur développement à l’international.

L’entreprise fit faillite deux mois après que j’aie jeté l’éponge. Pure coïncidence, bien sûr.

Me voici revenue à la case départ (pour rappel : zéro création de valeur). Je suis assaillie par les pires angoisses. Jamais je ne retrouverai un emploi. Je suis condamnée à passer ma vie au foyer. Ma carrière est finie.

Une nuit d’insomnie, je n’y tiens plus, et contacte une brillante ancienne cliente de mon époque SuperConseil, . Elle ne s’étonne guère de l’heure à laquelle mon mail lui parvient (3h17 du matin) et me propose immédiatement un rendez-vous. Et pas pour parler biberons.

We are back in business !

« Ah, vous êtes française ! »

Au bout de tant d’années à Londres, je pensais m’être parfaitement fondue dans la masse. Je ne double plus subrepticement les gens dans la queue en me félicitant intérieurement d’être plus maligne qu’eux, j’ai toujours un parapluie sur moi « parce qu’on ne sait jamais il peut pleuvoir à tout instant », et il m’est même arrivé de recevoir de vrais Anglais pour le thé. D’accord, il s’agissait de voisins qui n’avaient pas eu le cœur de décliner ma huitième invitation, mais  qu’importe : je croyais sincèrement être intégrée jusqu’au bout des ongles.

C’est pourquoi, lorsque ma franchouillardise est démasquée en quelques millisecondes, cela a le don de m’agacer profondément.

Qu’est-ce qui me trahit ainsi ?

Mon foulard élégamment enroulé autour du cou ?

Mon sac Vanessa Bruno ?

Un certain je ne sais quoi (comme disent les Anglais) de chic parisien ?

Hélas, non.

Mon accent franco-français.

Il a beau être loin, le temps où Eva in London prenait soigneusement des notes sur le professional English de ses collègues Superconsultants (« Welcome to SuperConseil, how can I help ? »), immanquablement, à peine ouvré-je la bouche que mon client m’interrompt, jovial :

– Ah, you’re French!

Cette saillie peut également être suivie de « I love the French accent, it’s so cute » (mignon)  lorsqu’un(e) Anglais(e) tombe sous le charme d’un(e) Français(e), voire du plus explicite « It’s so sexy ».

Enfin, paraît-il, parce qu’en ce qui me concerne, mes interlocuteurs ont surtout tendance à me prendre pour une agence de voyages sur pattes. Et que je te demande une bonne adresse de resto à Paris, et que je te raconte mes dernières vacances dans le family cottage du Lubéron, et que je m’étrangle d’indignation devant la grossièreté des garçons de café / les Russes qui envahissent Megève /  les frasques de Rihanna à St Tropez.

Bref. Vous conviendrez que c’est rien moins que rageant, après dix-huit ans de pratique de l’anglais, d’en être encore là. En bonne Française, je me proclame victime du système. Plus précisément du système éducatif français des années 80 (« Femme des années 80, femme … », mais je m’égare) : déjà, en faisant allemand Langue Vivante 1 parce que c’est comme ça qu’on sépare le bon grain de l’ivraie les bons élèves des mauvais les élèves poussés par leurs parents des normaux, je ne partais pas bien. Par ailleurs, je suis partie tard, c’est-à-dire en commençant en quatrième et non, comme paraît-il c’est le cas aujourd’hui, au primaire voire à la maternelle ou à la crèche. Un retard que je n’ai malheureusement jamais rattrapé.

Si je n’ai point à rougir de mon anglais à proprement parler – contrairement à de nombreux Français qui refusent inexplicablement de s’exprimer dans la langue de Shakespeare devant leurs compatriotes – je me prends malgré tout à rêver au jour où je manierai impeccablement l’accent british.

En attendant, avec 400 000 Français à Londres et moult touristes en goguette, je tiens ma revanche. Tiens, pas plus tard que cet après-midi. Au détour d’une rue, un jeune homme m’aborde, chaussures bateau aux pieds, pull négligemment noué autour des épaules et accent franchouillard à couper au couteau :

– Excuse me, Madam, do you know where is ze pub ‘orse and Groom ?

Moi, du tac au tac et en français dans le texte :

– Alors, vous prenez à droite après le feu, et au bout de 200 mètres, c’est sur votre gauche. Bon WE !

La vengeance est un plat qui se mange froid.

Et vous, votre accent vous trahit-il ? Cela vous agace-t-il, ou cherchez-vous au contraire à en jouer ?

Comment ça marche, le métro, à Londres ? Mal.

30 minutes à pied, en marchant vite. OK, en courant à petites foulées. Mais heureusement que les bureaux de SuperConseil ne se trouvent pas très loin de la boîte à chaussures dans laquelle Prince et moi cohabitons (mais plus dans le péché) depuis notre arrivée à Londres : j’échappe ainsi au métro, pardon, au Tube, comme disent les Anglais.

(Petite digression pour le plaisir : un employé mal luné de Transport for London, particulièrement à cheval sur cette dénomination, a un jour feint de ne pas me comprendre lorsque je lui ai demandé de m’indiquer le métro. Ah, you mean the Tube ! s’est-il enfin exclamé d’un air ironique alors que j’entamais ma troisième minute d’explications)

En théorie, je vais donc au travail à pied – c’est en tout cas la résolution que j’avais claironnée à qui voulait bien l’entendre lorsque SuperConseil m’a tirée du chômage et de mon addiction aux jeux vidéo embauchée. En pratique, entre les jours où il pleut / il fait froid / je n’ai pas entendu le réveil sonner / je préfère me beurrer un troisième scone plutôt qu’accomplir la demi-heure de marche quotidienne recommandée par le Programme National Nutrition Santé, je vais au travail en bus.

Ce qui signifie que j’échappe au métro.

Je vous passe, en  vrac, les signal failures (pannes de signalisation), accidents et autres engineering works (travaux) que subit l’underground londonien de manière quasi-permanente. Face à l’adversité, les Anglais affichent d’ailleurs généralement un flegme et une résistance (passive ?) qui ne manquent pas de m’impressionner, moi qui fais généralement les cent pas le long du quai en marmonnant des insultes gauloises de plus en plus incompréhensibles (« Scrogneugneugneu de nom d’un chien de mille sabords ! »).

Mais ce qui me fait vraiment, vraiment sortir de mes gonds, c’est de prendre le métro à la station la plus proche de chez moi : Edgware Road.

Pourquoi tant de haine ?

D’emblée, la station Edgware Road vous ment. Si, si. Là où la carte de l’underground vous promet une correspondance entre les jolies lignes de toutes les couleurs (District, Circle et Hammersmith & City) et la bête marron (Bakerloo line), tout cela n’est qu’illusion : de correspondance, point. Si vous tenez vraiment à changer à Edgware Road, accrochez-vous : il vous faudra sortir votre carte Oyster, payer votre trajet, quitter la station Edgware Road-Circle (ou Bakerloo, au choix), marcher plusieurs minutes sans vous perdre, passer sous un autopont, traverser une artère particulièrement bruyante et fréquentée en pensant bien à regarder à gauche et non à droite parce qu’ici on roule à gauche, localiser la station Edgware Road-Bakerloo (ou Circle, au choix), retrouver votre carte Oyster qui s’est bien évidemment logée tout au fond de votre sac et payer un deuxième trajet. Prix de la correspondance : dix bonnes minutes, deux livres que vous ne reverrez jamais et pas mal d’énervement.

Admettons que vous avez rejoint la Bakerloo line sans trop d’encombres. Là, un ascenseur vous attend. Ou plutôt, vous attendez l’ascenseur. La Bakerloo line étant la plus ancienne ligne de métro d’Europe, il vous faut vous enfoncer dans les entrailles de la ville pour l’atteindre. Or, les ascenseurs circulent à leur bon vouloir. Au bout de quatre minutes d’attente, même les plus polis des Anglais sont prêts à tout pour s’engouffrer dans le prochain lift : ben oui, il y a cent ans, on avait peut-être le temps, mais à notre époque où va trop vite ma bonne dame, perdre quatre minutes de vie est devenu rien moins qu’insupportable.

Tout cela n’est rien à côté de l’autre station (vous avez bien compris que ce n’était en réalité pas la même ?), Edgware Road-Circle line. Là, quatre quais vous attendent. Comment savoir vers lequel vous diriger ? Ben… c’est impossible. Bien sûr, en théorie, tout est réglé comme du papier à musique : quai numéro 1 pour la City, quai numéro 2 pour Hammersmith, quai numéro 3 pour Wimbledon et quai numéro 4 pour… ah, Hammersmith aussi. Au fait, certains trains pour Wimbledon partent du quai numéro 2. En pratique, il est donc courant de croiser des hordes de jeunes cadres dynamiques gravir en cadence les escaliers séparant les différents quais, suite à une innocente annonce intervenant quelque 45 secondes avant l’arrivée du train : « Mesdames et Messieurs, le prochain train pour Hammersmith arrivera dans quelques instants quai n°4 / le prochain train pour Wimbledon arrivera dans quelques instants quai n°2 / exceptionnellement, le prochain train pour la City partira du quai n°3 / etc ».

Vous ne pouvez alors vous empêcher de vous poser la question : l’arrivée d’une rame de métro constitue-t-elle un événement si imprévisible que ça ? Vous aimeriez bien vous plaindre à un employé de Transport for London – on ne se refait pas, et puis en bon Français, vous avez une réputation à tenir – mais il semblerait qu’ils se terrent tous ailleurs. A la station Edgware Road – Bakerloo line, peut-être ?

Enfin, quand bien même votre métro se présenterait bien là où il est censé le faire, impossible de savoir quand il arrivera. 2 minutes, 5, 10 voire 15 ? Vous verrez bien – wait and see, comme on dit ici. Les tableaux électroniques d’affichage consentent déjà à vous indiquer la destination du prochain train (sous réserve des modifications de dernière seconde évoquées plus haut) : n’en demandez point trop !

Cher lecteur, vous comprenez désormais mieux pourquoi je suis si reconnaissante à SuperConseil de ne se trouver ni dans la City, ni à Hammersmith, ni à Wimbledon, mais à 30 minutes à pied via Hyde Park (en courant).

De l’importance de la Guinness dans le succès professionnel outre-Manche

– Tu ne vas pas assez au pub, me décrète mon chef, SuperChef, d’un ton sans appel.

S’il y a bien une phrase qu’un employé français ne risque pas d’entendre de la part de son supérieur hiérarchique, c’est bien celle-ci. Sauf si la scène se déroule en Angleterre…

Ironiquement, c’est justement au pub que SuperChef m’assène ce verdict. C’est un vendredi soir comme les autres, une grise soirée de novembre où il vente et pleuvine dehors. Un soir où toute personne normale – du haut de ma chauvine mauvaise foi, j’entends par là un Français – se dépêcherait de se carapater du travail en songeant : « Ah, qu’est-ce que je serai mieux à la maison ! ».

Mais nous sommes en Angleterre. Et rien de tel qu’un vendredi soir, même pluvieux, pour faire sortir l’Anglais de sa réserve toute britannique. A 18 heures tapantes (ou 17h30, voire même 16h59 chez SuperConseil), l’Anglais range ses stylos, éteint son ordinateur et s’exclame à la cantonade : « Ah, qu’est-ce qu’on sera mieux au pub ! Je vous retrouve en bas, hein ? ».

En effet, la « socialisation » (suis-je en train de commettre un odieux anglicisme ?) ne se déroule pas, comme en France, autour de la machine à café. Tout au plus les Anglais échangent-ils quelques banalités très politiquement correctes lorsqu’ils se croisent autour de la théière : je vous avais déjà relaté mes doutes et mon expérience en la matière.

Mais les ragots, les futures promotions, les réorganisations faussement secrètes, la raison pour laquelle SuperChef, est arrivé en retard et tout échevelé à la dernière grand-messe SuperConseil-lesque ? Tout ça, c’est au pub que ça se passe. La morale de l’histoire : en n’allant pas au pub, je passe à côté de 99% de ce qui se joue dans les coulisses du monde redoutable de SuperConseil. D’où le reproche de SuperChef.
Et je serais bien en peine de lui démontrer le contraire. Lui soutenir que « c’est juste que, chaque fois que j’y vais, ça tombe un soir où tu n’es pas là » ? Peine perdue : SuperChef est là tous les soirs ou presque ; d’ailleurs, c’est justement pour ça qu’il est arrivé en retard et en piteux état à la réunion de service mentionnée ci-dessus. SuperChef a raison : je ne fréquente pas suffisamment le pub. Conséquence : je connais mal les ragots, peu mes collègues, et pas du tout les faiblesses de mon chef. Mais j’ai de bonnes raisons.

Les ragots sont toujours à peu près de la même teneur :

– Tel sous-grouillot va démissionner, ayant réalisé que tant qu’à exercer un métier aussi épanouissant que sous-grouillot, autant être grassement payé pour. Les cordonniers étant éternellement les plus mal chaussés, c’est loin d’être le cas lorsqu’on vend des bases de données de salaire pour SuperConseil

– Telle grouillote améliorée (pour rappel, la structure hiérarchique de SuperConseil se trouve dans ce billet) vient de réaliser que sa vocation consistait non pas à grouilloter, mais à ouvrir un bar en Thaïlande / être vendeuse dans une boutique de haute couture / devenir psychologue (exemples tous véridiques)

– Tel ponte adjoint n’est pas en vacances, mais chez lui, au fond du trou, vu qu’il vient de se faire virer comme un malpropre. OK, il avait rempli 3 de ses 4 objectifs, mais comme les 3 objectifs en question étaient les objectifs-pipeau-qu’on-va-inscrire-pour-faire-plaisir-aux-ressources-humaines (exemple : « Se montrer disponible et jouer le rôle de mentor pour les juniors de l’équipe ») et le quatrième, non atteint, « Atteindre XXX 000 livres de chiffre d’affaires », le calcul a été vite fait.

– Au contraire, tel autre ponte adjoint est sur le point d’être promu Grand Ponte. Pas d’explication à l’horizon – sauf si « Lécher les bottes de Super-Grande-Ponte plusieurs fois par semaine depuis trois ans » constitue une raison valable.

Passons à la deuxième chose que je loupe : me lier davantage avec mes collègues. Là, je dois bien avouer l’horrible vérité : je préfère de loin passer la soirée à jouer à mon jeu vidéo préféré qu’à créer du lien social. En tout cas avec mes camarades SuperConsultants. Déjà, avec le bruit ambiant, je comprends un mot sur trois, ce qui rend toute conversation difficile à suivre. Par ailleurs, l’essentiel des conversations porte sur des références culturelles qui m’échappent (la télé-réalité anglaise / les ragots de SuperConseil sur lesquels j’ai un retard impossible à rattraper / la télé-réalité anglaise). Enfin, le niveau d’alcoolémie augmentant de manière absolument régulière tout le long de la soirée, tout ce beau monde parle de plus en plus fort et articule de moins en moins : bien vite, je ne comprends plus qu’un mot sur quatre.
Parfois, prenant pitié de mon air perplexe, l’un de mes collègues répète à mon intention la dernière phrase prononcée. Très fort. J’essaie d’expliquer que je ne suis pas sourde, juste pas anglophone. Et que je n’ai pas la télé.

Là, mon interlocuteur prend ça pour une blague – après quatre ou cinq pintes, tout paraît amusant – et éclate de rire, reprenant aussi sec la conversation avec le reste du groupe. Pour mieux connaître mes collègues, il faudrait donc déjà comprendre ce qu’ils disent. Sauf si « mieux les connaître » veut tout simplement dire « savoir à quoi ils ressemblent quand ils ont trop bu ».

Enfin, quant aux faiblesses de mon chef, une soirée suffit à les identifier :

1. La Guinness
2. La Guinness
3. La Guinness
Eh oui : SuperChef est irlandais.

Tout cela explique sans doute pourquoi je n’honore plus guère le pub de ma présence que lors des pots de départ groupés (comme celui du sous-grouillot, grouillotte améliorée et sous-ponte dont je vous parlais plus haut), prétextant le reste du temps un départ à Paris / un mal de crâne après une dure semaine de travail / une sortie au théatre (sous-entendu : « Vous voyez, y a pas que la télé-réalité dans la vie ! »).
Mes collègues ne s’y trompent guère : preuve en est faite lorsque l’un d’eux conçoit et fait imprimer un jeu de cartes à l’effigie de chacun des employés du service, chaque carte indiquant le niveau d’ébriété moyen de la personne, ses phrases fétiches au pub et sa boisson préférée, la mienne ne comporte… rien.
Parce que je n’ai pas de carte du tout : il a oublié que je faisais partie du service.
« Ben oui, tu viens jamais au pub ».
Et pour cause.

Et vous, comment vous entendez-vous avec vos collègues ? Ils sont plutôt machine à café, cantine ou sortie après le travail ?

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Des mérites de la procrastination en entreprise, ou comment briller en ne faisant absolument rien d’utile (2)

Mes brèves mais intenses expériences du monde du travail, fût-ce dans une multinationale de l’agro-alimentaire, un hebdomadaire économique très sérieux ou une entreprise de cours de cuisine, m’ont appris une règle immuable : toujours avoir l’air occupé. Froncer les sourcils ne gâche rien, même et surtout si vous êtes en réalité en train de vous escrimer les yeux pour décider si ce sac à -90% sur eBay est une contrefaçon ou pas.

Bref, comme toujours, la forme compte au moins autant que le fond. Ca s’appelle être politique. Chez SuperConseil, ça saute aux yeux : les grands pontes et leurs adjoints (pour un rappel de la structure hiérarchique en vigueur chez SuperConseil, voir ici) maîtrisent cet art à la perfection. Toujours un sourire triomphant aux lèvres (« Je n’aime pas me vanter, alors je ne dirai rien, mais n’ai-je pas l’air d’avoir encore conclu une énorme vente ? »), ils parlent fort à leurs infortunés voisins d’open-space (c’est pas parce qu’on est ponte qu’on a son propre espace vital) pour bien montrer qu’eux ne croulent pas sous les basses tâches. Non, eux, ils ont la situation bien en main ; c’est primordial, dans un pays où rester après 18h30 n’est pas considéré comme un signe de dévouement, mais de désorganisation. Certains poussent même le bouchon jusqu’à traverser l’open space en long, en large et en travers plusieurs fois par jour en claironnant leur dernière pseudo-réussite à date (« Je n’aime pas me vanter, alors je ne dirai rien, mais honnêtement, heureusement que j’étais là pour convaincre le client que c’était la bonne solution…. »)

Vous l’aurez compris, chez SuperConseil, je suis à bonne école.

Puisque je n’ai pas encore de téléphone professionnel et que je me refuse obstinément à communiquer mon numéro de portable personnel aux clients (s’ils se posent des questions en dehors des heures de boulot, le répondeur, c’est fait pour ça), il me faut adopter une stratégie différente pour me faire mousser. Je décide de commencer par dresser une liste de choses à faire aussi longue que le bras. Et, pour faire bonne figure, je déclare à qui veut bien l’entendre (oui, moi aussi je sais faire monter le volume sonore de l’open space) que je pars m’isoler en salle de réunion, car « j’ai besoin de me concentrer pour ce que j’ai à faire (sous-entendu : moi) ».

Une fois tranquillement installée, et après une bonne vingtaine de minutes passée à répondre à quelques mails personnels, je me mets à répertorier TOUTES les tâches à exécuter, du contrat à signer et classer au fameux démarchage téléphonique en passant par cette formation client que je repousse depuis plusieurs jours déjà. Mon but : démontrer par A+B qu’il m’est tout bonnement et scientifiquement impossible de faire du business development en cette période particulièrement chargée. Démontrer à qui ? Mais à SuperChef, bien sûr, qui impressionné par l’effervescence qui se dégagera de ma personne (rappel : prendre l’air pressé, voire débordé par moments bien choisis), s’inquiètera de savoir si « je gère ». Là, altière, je le rassurerai : évidemment que je gère, et d’ailleurs voici la liste de tous mes pseudo-succès dont il n’a pas besoin de savoir qu’ils datent un peu / sont allègrement enjolivés / n’auront absolument aucune retombée commerciale. « En revanche, im-pos-sible- de me poser tranquillement pour planifier le business development cette semaine, mais bon, comme tu le vois, commercialement, ça va très très bien quand même ». SuperChef repartira enchanté, et moi, dédouanée.

Plan machiavélique : top départ. A moi les courriers insipides, les fichiers Excel à remettre à jour et les coups de fil de politesse aux clients, bref, tout ce qui ne présente ni intérêt intellectuel, ni risque d’échec. Aux autres, la réflexion et l’action.

Euh… vous croyez que quelque chose ne tourne pas rond chez moi ?

Des mérites de la procrastination en entreprise, ou comment briller en ne faisant absolument rien d’utile (1)

Depuis mon retour de vacances-préparatifs-de-mariage, je ne sais pas, j’ai moins la niaque au boulot. Peut-être les innombrables newsletters intitulées « Eva, pour le plus beau jour de votre vie, choisissez la robe XXX / les fleurs YYY / le mari ZZZ » me distraient-elles de mes responsabilités professionnelles. Pour rappel, ma mission de SuperConsultante – puisque je l’ai acceptée – consiste à aider les entreprises à payer leurs employés le moins possible situer les salaires qu’elles offrent par rapport au marché. Mission dont je m’acquitte honorablement jusqu’ici, ayant établi d’excellentes relations avec mes clients. Mon secret, c’est de m’adapter le plus possible à leurs attentes :

– laisser tranquilles ceux qui croient mieux connaître le logiciel SuperConseil que moi ;

– passer un coup de fil de temps en temps à ceux qui ont la flemme de décrocher leur téléphone, mais sont bien contents qu’on leur explique comment utiliser l’outil qu’ils ont décrit comme « indispensable » à leur chef au moment du budget… et qu’ils n’ont pas ouvert depuis ;

– et rendre régulièrement visite à ceux qui s’ennuient tellement dans leur poste que la visite de SuperConsultants leur permet de « briser la routine » (parfois, le monde de l’entreprise me déprime), ainsi qu’à ceux qui, au contraire, sont tellement sous pression qu’ils vous supplient de venir les écouter se plaindre de leur chef, du nouveau comité de direction, du dernier SuperProjet en date, etc.

SuperChef est catégorique : d’après lui, je maîtrise de mieux en mieux la relation client. Je traduis : « tu rapportes assez d’argent à SuperConseil pour que je ne me fasse pas agonir d’insultes par mon chef, HyperChef, au moment de mon évaluation annuelle. »

Le hic, c’est qu’au lieu de me laisser me reposer sur mes lauriers et me consacrer à l’organisation de mon mariage, SuperChef a décidé « d’étendre mon portefeuille clients », comme on dit en langage-business-qui-se-la-tape. Je traduis : « Eva in London, ta mission, si tu l’acceptes, sera d’exercer plus de responsabilités pour le même salaire. »
Pour corser le tout, SuperChef n’a rien trouvé de mieux que de me vendre ce « nouveau défi » sous le titre « business development », à savoir du commercial pur et dur. Je ne voudrais pas critiquer, mais SuperChef me semble avoir du progrès à faire en termes d’adaptation à ses collaborateurs – non mais sérieusement, vous me voyez faire du démarchage téléphonique ?

« Bonjour, Eva in London à l’appareil, SuperConsultante chez SuperConseil. En tant que grouillotte, on m’a demandé de vous vendre des bases de données géniales dont vous vous servirez une fois par an, mais qui vous aideront à faire semblant de maîtriser votre poste. Ca vous intéresse ? ». Le tout en anglais, avec l’accent bien sûr.

Telle Sœur Anne ne voyant rien venir, je ne vois aucun « prospect » (terme business-qui-se-la-tape pour désigner les clients potentiels) succomber au laïus élaboré par le service marketing de SuperConseil. Soupir. Comme il me paraît délicat de faire part à mon chef de mes multiples doutes (en vrac : sur le bien-fondé de nos services, mes capacités de SuperVendeuse, la patience et/ou la crédulité des « prospects »…), je me résigne : je vais devoir me lancer dans le démarchage téléphonique et le « strategic business development ».

C’est alors qu’une idée machiavélique germe dans mon esprit : à défaut de me décarcasser pour SuperConseil, ne pourrais-je pas… faire semblant de me décarcasser pour SuperConseil ?

Pour cela, un remède éprouvé s’impose : la procrastination.

PS : trop de cynisme tue-t-il le cynisme ? Et est-il possible de bien faire son travail tout en conservant un minimum de recul par rapport à ce que l’on fait ?

Génération X contre génération Y : le match des générations*, ou comment nous sommes devenus accros à Internet

(*et non des sexes)

Ce qu’il y a de bien, quand on travaille pour un cabinet de conseil « en management » (dénomination qui m’a toujours semblée énigmatique), c’est que même en n’étant pas cool du tout, comme moi, on arrive quand même à choper deux ou trois termes tendance au passage. Bon, ces tendances-là sont généralement le fruit de la méditation embrumée de consultants très très seniors à qui on a indiqué qu’ils feraient mieux de justifier leurs salaires en concevant quelques idées novatrices de ci de là plutôt qu’en annotant les tableaux Excel des petits grouillots comme moi ; autant dire que niveau coolitude, ça se pose là. Mais faisant feu de tout bois, je ne manque jamais d’exposer les dits concepts novateurs dans les dîners mondains lorsque je retrouve mes amis parisiens une fois par mois.

Ce mois-là, le terme que ressassaient les SuperConsultants, rendez-vous client après rendez-vous client, c’était « Génération Y ». Et si – corrigez-moi si je me trompe – la notion a depuis déboulé en France, à l’époque, nos SuperConsultants n’étaient pas peu fiers de discourir sur la meilleure manière de « manager » les « Générations Y », justifiant ainsi leur positionnement de spécialistes du « management » :

– comment leur donner envie de venir travailler pour votre multinationale à open spaces de 1 500 personnes par plateau

– comment les motiver une fois qu’ils ont découvert « leur » plateau (la signature email de l’un de nos clients contenant ainsi son « adresse » open-spacesque : E2.15.03, encore mieux que le matricule pour donner l’impression d’être irremplaçable aux yeux de son employeur)

– et enfin, comment réussir à les faire bosser autant que leurs aînés, mais sans la sécurité de l’emploi ni la garantie d’une retraite digne de ce nom.

Autant dire que le sujet captait toute l’attention de nos SuperClients.

Mais au fait, Génération Y, késaco ?

Je laisse les explications sérieuses à des publications plus crédibles que la mienne, mais mon interprétation de la chose tient en une phrase : jamais sans ma connexion. Smartphone, iPad, GPS, netbook, ordinateur portable et j’en passe, le représentant de la génération Y est sans cesse connecté. A quoi, à qui, je ne sais pas très bien, mais une chose est sûre, il est online.

A part pour faire mon intéressante, les cocos de la génération Y me laisseraient sans doute assez indifférente… si seulement je n’étais pas fiancée à l’un d’eux.

Si la date de naissance de la génération Y fait débat auprès des experts, je pourrais les renseigner, moi : il s’agit de LA journée qui sépare la naissance de Prince de la mienne. Nous avons beau être nés à deux jours d’écart, un fossé générationnel nous sépare ; tandis que Prince a les yeux audacieusement tournés vers le XXIème siècle, je me languis du XXème dont je n’ai toujours pas fait le deuil en digne « Génération X » (les ringards, quoi). Et les conséquences sur notre vie de couple abondent.

Disons les choses comme elles sont : Prince vit sur Internet. En arrivant au bureau le matin, il retrouve avec joie ses huit écrans, apparemment tous indispensables, et rebranche sa perfusion aux news Bloomberg 24 heures sur 24, au cas où les huit écrans n’y suffiraient pas. Lorsqu’il quitte le travail, son smartphone est là pour lui fournir les nombreuses informations susceptibles de lui avoir échappé pendant la journée, on ne sait jamais, des fois qu’il aurait travaillé. En rentrant au foyer, ô soulagement, il peut enfin consulter ses mails personnels, interdits d’accès à la banque dans un semblant de tentative de limiter les fraudes. 48 secondes après avoir démarré l’ordinateur, Prince nage dans la félicité virtuelle, face à cinq onglets différents, dont un site d’informations en hongrois (décidément, on n’est jamais trop informé, surtout lorsqu’on se limite aux gros titres), de la musique, un blog spécialisé dans les gadgets divers et variés, un blog pour le faire rire et un cours de finance en ligne (oui oui, ça existe).

Et moi, pendant ce temps ? Je râle.

Je râle parce que mes CD prennent la poussière, « mais à quoi bon lancer un CD puisque tout est sur spotify ? ».
Je râle parce qu’il a beau être 23h30, Prince traque encore l’info cruciale qu’il a dû rater sous la douche entre 23h15 et 23h25.
Je râle parce que j’ai l’impression que je suis sur le point de m’engager à épouser, non seulement Prince, mais l’attirail électronique qui l’escorte.
Je râle parce que skype, c’est bien, mais au lieu de jurer en hongrois (ce qui est quand même toujours poilant) parce que ça coupe pour la quatrième fois en dix minutes, Prince n’a qu’à décrocher notre bon vieux combiné.
Je râle parce que si on a décidé de ne pas acheter de télé, ce n’est pas pour se retrouver devant BBC iPlayer un soir sur deux – même si je dois avouer que leurs documentaires sont tout bonnement excellents.
Je râle parce que mes ouvrages d’histoire, fiches de cuisine, manuels de photo et autres beaux livres croupissent sur nos étagères, pendant que Prince surfe sur Wikipédia pour répondre à toutes les questions que je peux lui poser. « Ben oui, sur Internet, y a TOUT ». Imbattable, comme raisonnement.

Face à tant d’aplomb, je m’énerve, je hausse le ton, je menace de couper Internet pour la soirée. Rien n’y fait. Et pour cause : la vraie accro à Internet, c’est moi. La radio en ligne, les blogs de cuisine, les mails persos, les photos de vacances de parfaits inconnus sur Facebook, impossible de m’en passer. Et quand Prince rentre et se précipite sur l’ordinateur, me voilà désemparée : comment m’occuper ? Lire un vrai livre ? Un vrai journal ? Que j’aimerais en être capable… mais Internet semble déjà avoir fait trop de dégâts sur mes méninges. Lire pour de vrai, fournir un effort, alors que je peux flemmarder avec bonne conscience sur le site du Figaro en ne regardant que les images ? Et dire que je reproche à Prince de ne lire que les gros titres… cela constituerait presque un progrès pour moi.

Enfin, en attendant que Prince prenne la mesure de ma duplicité, je continue de râler. C’est encore ce que je fais de mieux.

Et vous, sur une échelle de 1 à 10, à quel point êtes-vous accro à Internet ?

Pourquoi les femmes ne devraient jamais tomber malades

Chez les Anglais, chochotte est un terme proprement masculin ;  ici, on se plaît à rappeler que lorsqu’une femme a un rhume, c’est bien un simple rhume (cold), alors que lorsque c’est le mâle qui est atteint, le rhume mute en véritable grippe… très masculine (man flu). Prononciation correcte de man flu : teintée d’ironie toute britannique, laissant penser que les hommes, décidément, n’aiment rien tant que se faire materner, chouchouter et bichonner lorsqu’ils sont malades. Les soins seront de préférence prodigués par une infirmière souriante, blonde et en blouse blanche (la pudeur m’empêchant de développer cette description), mais à défaut, une épouse d’ordinaire acariâtre, brune et en jogging fera l’affaire à la condition expresse qu’elle prenne la maladie de l’homme très au sérieux.

Et c’est ainsi que perdure la paix des ménages durant les rhumes des hommes. Cette grave maladie constitue somme toute une épreuve parmi d’autres dans le parcours du combattant de la vie conjugale : certains couples en ressortent fragilisés (un gémissement de trop, et le couperet tombe : « Tu as un rhume, tu n’es pas en train de vivre tes dernières heures ! Maintenant ça suffit, tu te lèves et tu m’aides à préparer le dîner ! »), d’autres renforcés (« Que tu as été courageux, mon chéri. Tu m’as l’air en bien meilleure forme. Pour fêter ta guérison presque complète, et si on se mijotait un petit repas aux chandelles ? »)

Tout est une question de diplomatie.

Ami(e) lecteur / lectrice, tu ne seras pas surpris(e) d’apprendre que la diplomatie n’est pas mon fort. En revanche, être malade, si. La chochotte du couple, c’est moi, moi, et moi.

Illustration cette semaine :

–          Lundi : dans le bus qui me mène chez SuperConseil, comme à l’habitude, je m’emmitoufle dans mon écharpe à la moindre toux suspecte (elles le sont toutes), au moindre éternuement (on ne t’a jamais appris à mettre la main devant la bouche, ou tu veux vraiment partager tes microbes avec tous le bus, parce que je crois qu’il y en a, au fond, sur qui tu n’as pas postillonné), à la moindre figure fiévreuse. Ce n’est pas de ma faute : telle une malédiction, une phobie de la saleté et des microbes se transmet de mère en fille dans ma famille depuis trois générations.

–          Mardi : étant parmi les dernières arrivées au bureau, je constate avec surprise qu’il reste une place au milieu de six bureaux occupés par des collègues tous plus sympathiques et bienveillants les uns que les autres. Cinq minutes me suffisent à comprendre : deux d’entre eux éternuent et se mouchent à qui mieux mieux. C’était bien la peine de changer trois fois de place dans le bus ce matin. Et quelque chose me dit que je risque de passer pour une antisociale finie si je traite mes collègues malades en pestiférés et change de place ici aussi. Déjà qu’on me reproche régulièrement de ne pas aller assez souvent au pub…

–          Mercredi : d’abord, des frissons. Puis mal à la gorge. Enfin, un lancinant mal de crâne. Pas de doute : malgré mes efforts, j’ai été contaminée. Je suis malade. Ma première pensée : « Je peux me faire plaindre ! ». Je passe l’après-midi à soupirer, tousser, me prendre la tête entre les mains. Rien n’y fait : personne ne semble rien remarquer. On dirait presque qu’ils ont mieux à faire que de se préoccuper de mon état de santé (travailler ?).

Aux grands maux, les grands remèdes. Je lance à la cantonade :

– Quelqu’un aurait une aspirine ? Je ne me sens pas bien du tout, j’ai mal à…

Sans attendre la fin de mon monologue, une  collègue (une seule !) daigne relever la tête, farfouille dans son tiroir et me tend des cachets sans un mot. C’est tout ? Pas de « Oh, poor you » cher aux Anglais ? Pas de commisération ? C’est sûr, je trouverai une oreille plus clémente auprès de Prince. Je lui envoie aussitôt un mail suintant l’auto-apitoiement. La réponse ne se fait pas attendre. Elle tient en une ligne : « Prends une aspirine ». Super.

–          Mercredi soir : initialement décidée à réserver un accueil plutôt froid à Prince, je change d’avis en repensant aux nombreux échecs passés consécutifs à cette stratégie. Je choisis donc la lamentation, avec tenue assortie : pyjama, chaussettes de randonnée extra-chaudes, et trois pulls dont deux à capuche. Hélas ! Mon cher et tendre n’apparaît particulièrement désireux de jouer les infirmières. Au quatrième verre d’eau demandé (pas exigé, hein, demandé ; ce n’est pas parce que je suis malade que j’en oublie les bonnes manières), il se met à soupirer. Nouveau soupir quand je lui indique ma température pour la douzième fois en trois heures (oui, je prends ma température tous les quarts d’heure, on n’est jamais trop prudent). Il me réconforte quand même lorsque je fonds en larmes à la vision d’un 38,5°. C’est sûr, c’est le début de la fin (je vous l’avais bien dit, que j’étais une chochotte.)

–          Jeudi : je ne vais évidemment pas au bureau,  (même pas besoin de congé maladie chez SuperConseil). Prince n’a pas pris sa journée pour rester avec à mon chevet, mais il répond sans faille aux nouvelles que je lui envoie régulièrement (température, état général, moral). Je fulmine contre le cabinet de GP (general practitioners, c’est-à-dire généralistes) qui m’indique que si je veux faire deux heures de queue pour m’entendre dire que « ça ira mieux avec une bonne cup of tea et du repos, pas besoin d’antibiotiques, Mademoiselle », libre à moi. Je me défoule avec six épisodes de suite de Grey’s Anatomy. Les beaux chirurgiens du Seattle Grace Hospital hier soir s’avérent bien plus réconfortants qu’un GP réel mais désobligeant.

Lorsque Prince rentre à la maison, il me trouve au lit, le regard vague  après quatre heures de télé et portant les mêmes vêtements que la veille,. S’il frémit, il n’en montre rien. Il va même jusqu’à m’embrasser… sur la joue. N’empêche, je suis déconcertée : le rôle de garde-malade n’a pas l’air de séduire Prince. On dirait même que c’est une corvée. Je ne suis pas dupe : je le vois bien à son regard, quand je gémis « Je ne me sens pas bien pour la huitième fois en deux heures (presque aussi souvent que je prends ma température, en somme).

–          Vendredi : je reste à la maison, j’ai encore un peu de fièvre. Enfin, j’avais 37,5° hier soir. Ca compte, non ? De toute façon, le plus important, c’est la santé. Je ne vais quand même pas être malade le WE, non plus ?

Voici enfin venu le vendredi soir, et avec lui, la fin de ma maladie. Je reprends peu à peu forme humaine, délaisse mes deux pulls devenus superflus, et enfile une paire de chaussettes normales. Et si je me réjouis de cette guérison quasi-miraculeuse, ma jubilation n’est rien à côté de celle de Prince. Il m’avoue alors la vérité : non, ma tenue de malade n’est pas sexy. Non, mon ton geignard et mon auto-apitoiement non plus. Non, s’occuper d’une loque à peine visible derrière deux capuches n’est ni viril, ni gratifiant.

Etrange, étrange. Moi, j’adore m’occuper de Prince lorsqu’il est malade. Le problème, c’est qu’il ne l’est jamais.

Congé maladie à l’anglaise

Ce mariage me stresse plus qu’autre chose.

Comme je souffre d’un cruel manque d’expérience dans la préparation de mariage, je n’ai pas la moindre idée de la manière dont je suis censée m’y prendre. Et la pression, elle, ne se fait pas attendre : non seulement le mariage apparaît comme un excellent prétexte pour claquer en quelques heures plusieurs mois de salaire (coût moyen d’un mariage selon l’INSEE : 11 800 €), mais le rapport qualité / prix de ces fugaces moments doit aussi être au rendez-vous. Selon les magazines / prestataires / salons du jour J et autres industriels de l’engagement, gare à vous, future mariée, si cette journée n’est pas au moins « le plus beau jour de votre vie ». Vous en serez tenue personnellement responsable.

Au bout de quinze jours d’intenses rongements d’ongles sur fond de culpabilité (tant d’inaction, un phénomène rare et mal vécu par Eva in London), je me lance dans un exercice apparemment simple : la liste d’invités. Ben oui, si je n’arrive même pas à plancher sur une simple liste – le B.A-BA, me susurrent Jolie Mariée et Un mariage réussi – l’affaire est sans doute bien mal engagée. Ce qui se confirme quand, après trois brouillons, je soumets fièrement à mes parents une tentative présentable :

– Et Prince, il compte venir, à ce mariage ? Parce qu’il n’invite pas beaucoup de monde, commence par remarquer mon père d’un ton égal.

De fait, avec 45 personnes de mon côté, une petite quinzaine du côté de Prince, c’est déséquilibré pour le moins. Heureusement (?), ma mère ne me laisse guère le temps de répondre :

– Tu as oublié ta marraine, relève-t-elle, légèrement surprise. Et pour cause : c’est elle qui l’a choisie.

– Et ton parrain, s’empresse d’ajouter mon père, dont l’agacement devient perceptible. Et pour cause : c’est lui qui l’a choisi.

Me revoici donc au point de départ, avec pour seuls moyens les sentencieuses injonctions de Jolie Mariée et mon courage… soit un équipement largement insuffisant. Pour la première fois depuis mon arrivée en Angleterre, j’envisage très sérieusement de recourir à l’arme fatale des British : to call in sick, se faire porter pâle.

Car ici, rien de plus simple que de sécher le boulot. Et comme la glande constitue l’un de mes sujets de prédilection, je me suis immédiatement intéressée à cet étrange phénomène : certains jours – et plus particulièrement les lendemains de sortie au pub, donc le vendredi, mais le lundi, mardi, mercredi et jeudi ça marche aussi – certains de mes collègues n’apparaissent tout simplement pas au boulot.
D’après les guidelines des ressources humaines, tout SuperConsultant malade doit appeler son supérieur hiérarchique avant 10h. Pour pouvoir faire une grasse mat’ avant de s’offrir le fameux English breakfast dont les vertus sur la gueule de bois ne sont plus à démontrer ? Ou pour être sûr que le dit supérieur hiérarchique soit arrivé au travail, car lui aussi, selon toute probabilité, a trouvé le réveil difficile après une soirée agitée ? Certains parent à cette question en envoyant un email laconique en rentrant du pub ; une technique qui ne semble fonctionner qu’auprès de chefs singulièrement accommodants.

Quoiqu’il en soit, je suis quelque peu effarée, tant devant la fréquence des « congés maladie » de mes collègues que devant le mystère qui les entoure :

– Qu’est-ce qu’il a, James / Mark / Alessandro / Meindert ? demandé-je au début, pleine de sollicitation envers mes pauvres collaborateurs.

– Oh, je ne sais pas… un rhume / une migraine / mal au ventre / pas envie de bosser aujourd’hui, je crois, me répond-on invariablement en haussant les épaules.

Mais le plus déconcertant, pour moi, c’est qu’il ne s’agit pas d’une coutume propre à SuperConseil. Lorsque je confie mon étonnement à mon amie Claire, londonienne comme moi, elle s’esclaffe :

– Congé maladie, congé maladie, mais c’est un truc de Français, ça ! Ici, si les Anglais attendaient un RDV chez le médecin (apparemment, cela peut prendre longtemps, très longtemps…) pour leur signer leur arrêt de travail, ils ne s’en sortiraient pas. Et puis, arrêt de travail ou pas, qu’ils aient la gueule de bois / une grippe / une gastro-entérite / une angine, le médecin leur répond immanquablement « Have a cup of tea et reposez-vous, ça ira mieux d’ici deux ou trois jours ! ». Du coup, c’est ce qu’ils font :  ils se passent de visite médicale et restent tranquillement au lit en attendant des jours meilleurs, d’autant plus sereins qu’ils savent que c’est précisément le conseil que le médecin leur aurait donné ! On dira ce qu’on voudra, mais leur système a le mérite d’être cohérent.

Voilà qui donne matière à réflexion.

– Mais attends, il y a des abus, quand même ? Et le contrôle de la Sécu pour vérifier que tu es bien au fond de ton lit à gémir, et pas en train de faire les boutiques ?

Claire ne relève pas ce vestige de réflexe français (« Et le bon vieux contrôle de l’Etat, dans tout ça ? ») et répond, gênée :

– En même temps, difficile de le leur reprocher : dans ma boîte (Claire travaille chez un concurrent indirect de SuperConseil), on nous donne d’office huit jours de sick leave (congé maladie ?) à utiliser sur l’année… alors, si tu as une santé de fer, autant en profiter !

– Et si tu es vraiment malade et que les huit jours n’y suffisent pas ?

– Ben… tant pis pour toi.

Enfin, comme chez SuperConseil et dans bien d’autres entreprises britanniques, le nombre de jours autorisés semble être directement lié à la crédulité patience du supérieur hiérarchique, le congé maladie à l’anglaise a encore de beaux jours devant lui… et moi, une occasion inespérée de retravailler ma liste d’invités pour éviter de nouveaux incidents diplomatiques.


L’aventure du chili con carne, suite et fin

Le suspense était intenable : Eva in London mangera-t-elle tout son chili con carne comme une sage petite fille ? Retournera-t-elle en larmes chez Vittorio, quémandant sa dose quotidienne d’huile d’olive et de parmesan ? Jettera-t-elle, enragée, son chili con carne à la poubelle en maudissant à tout jamais Marks et Spencer de lui avoir proposé de « compter sur eux » ?

Je reconnais que la conclusion de l’article précédent était quelque peu abrupte. Mais quel intérêt présente bien la dégustation d’un chili con carne industriel ? pensais-je naïvement. Pourtant, vous avez été des dizaines, que dis-je, des centaines, à m’envoyer des messages indignés. « Alors, alors ? Et après ?». Je cède : voici l’aventure de l’aventure du chili con carne, suite et fin.

Y en a quand même parmi vous qui doivent vraiment s’ennuyer au boulot. Moi, j’dis ça, j’dis rien.


Résignée, je libère le plateau plastique de chili con carne de la manche en papier toujours estampillée « Comptez sur nous », et me plonge dans les instructions.

–          « Retirez le papier » : jusque là, rien que de très logique

–          «  Percez le film plastique de quelques trous à l’aide d’une fourchette » : d’emblée, ça se corse. Chez SuperConseil, les SuperConsultants ont tendance à piquer les fourchettes en métal. Pratique mystérieuse, mais qui a le don d’énerver John, dit John des Services Généraux. John des Services Généraux rappelle régulièrement que les couverts en métal, ça coûte cher, et que les voler, quand on est SuperConsultant, ce n’est quand même pas une façon très correcte d’arrondir les fins de mois. Du coup, on en est réduit aux fourchettes en plastique – ce qui est maaaaal pour l’environnement, et pas du tout pratique pour « percer le film plastique de quelques trous ». Bref, trois fourchettes cassées plus tard, je décide que le bilan carbone de mon déjeuner est déjà assez lourd comme ça, et j’arrache allègrement tout le film plastique.

–          « Réchauffez au micro-ondes uniquement : 4,5 minutes pour un four de 750 watts, 4 minutes pour un four de 850 watts ». Et le four micro-ondes SuperConseil de 800 watts ? Allez, on ne recule pas devant une petite règle de trois. C’est beaucoup plus technique que ce que je pensais, de réchauffer un plat cuisiné. Je préférais quand Vittorio remplissait bien mon Tupperware et qu’il dégoulinait d’huile au fond. Au moins, les instructions étaient simples : 1/ manger 2/ ne pas culpabiliser.

–          « A la fin de la cuisson, vérifiez que le plat est chaud » : cette remarque me laisse perplexe. Ils vont nous rappeler qu’il faut une fourchette (en plastique) et un couteau (on n’en a plus, le budget étant épuisé à mi-année après un rythme de disparition beaucoup trop rapide), et une serviette autour du cou, et un verre d’eau aussi ? Il n’y a plus de limite à la complicité avec le consommateur.

–          Ne pas re-réchauffer : tellement important que c’est marqué en gras. En même temps, faut pas se mentir. 380 calories de chili con carne super allégé, si on en laisse, c’est qu’il doit être tellement mauvais qu’on ne risque pas de le finir au repas suivant.

Allez, passons à la dégustation, sous peine d’en reprendre pour un troisième billet sur le chili con carne, et faut quand même pas abuser des bonnes choses. Bilan en trois points :

  1. Quand Marks et Spencer disent quelque chose, c’est comme Jacques, on fait ce qu’ils nous demandent. On n’arrache donc pas le film plastique comme une sauvage, à moins de vouloir nettoyer honteusement mais rapidement (pour éviter de s’attirer les foudres de John des Services Généraux) le micro-ondes entièrement repeint de sauce marron/rouge.
  2. Le chili con carne britanninque noté « peu épicé » (un piment sur un maximum de trois), pour un palais français, ça reste assez corsé pour en avoir les larmes aux yeux
  3. Paradoxalement, on retrouve aussi le goût de l’ingrédient principal… l’eau.

La conclusion qui s’impose, c’est que Marks et Spencer ne font quand même pas aussi bien que la cuisine que Vittorio. Non, sérieusement, c’est correct, sans plus. Heureusement, il me reste des dizaines d’autres plats sur lesquels je peux compter : nouveau bilan d’ici quelques semaines. 

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PS : en bonus, un sketch so British qui ne manque jamais de me faire rire, et qui devrait rappeler à certains les ficelles de la télé-réalité (ah, l’île de la tentation… que de bons souvenirs) :