Où Eva in London en arrive à faire un crumble aux pommes alors qu’elle n’aime ni la cuisine anglaise, ni les pommes

Lorsque nous sommes arrivés au royaume de la perfide Albion, avec Prince, je dois bien reconnaître que je ne portais pas bien haut les couleurs de l’art de vivre à la française : j’étais non seulement  incapable de distinguer un Bordeaux d’un Bourgogne (poussant l’absence de vice jusqu’à ne jamais boire une goutte d’alcool, ce qui faisait de moi, comme disent joliment les Anglais, une teatotaller),  mais aussi nulle en cuisine. Vraiment nulle. Au sens zéro, comme le nombre de recettes que je connaissais. Au risque de faire frémir d’effroi les gastronomes parmi mes lecteurs, je vais jouer la transparence totale en vous révélant mon repas type de l’époque :

– salade de tomates (dans les bons jours, et surtout pas d’herbe fraîche ou d’assaisonnement, malheureuse)
– cassoulet en boîte (oui oui, une boîte de conserve)
– yaourt (0%, évidemment)

Navrant.

Non que je n’appréciais pas la bonne chère, loin de là. Mais au restaurant. Ou chez des amis. Ou chez mes parents. N’importe où, du moment où je n’avais rien à faire. Bref, paresse et peur de mal faire (oui, même aux fourneaux) annihilaient en moi toute velléité de cuisine, au grand dam de mes proches qui n’osaient plus venir déjeuner à la maison (« Encore un peu de cassoulet en boîte ?»).

Une chère amie ayant particulièrement à cœur mon bonheur culinaire m’envoya même un long mail intitulé « Menus faciles pour bras cassés », incluant pâtes au beurre et au fromage râpé, soupe de tomates express à base de concentré et poisson en papillote. En vain.

Les années passant, les kilos s’accumulant, et la Manche traversant, la fameuse boîte de cassoulet est devenue plat cuisiné minceur Marks & Spencer. Et je n’ai jamais appris à cuisiner. Mais depuis quelque temps, je me (sur)prends à rêver de gâteaux. Peut-être est-ce la perspective – de plus en plus probable – que Prince et moi demeurions en Angleterre pour un bon moment qui me perturbe. Toujours est-il qu’à ma grande surprise (j’ai toujours préféré une bonne tablette de chocolat aux pâtisseries), moëlleux au chocolat, quatre quarts et autres tartes au citron peuplent mes rêveries de SuperConsultante entre deux tableaux Excel.

Le cœur battant, je me décide à FAIRE LA CUISINE.

Pour ce baptême du feu, je porte mon dévolu sur une recette de crumble aux pommes. Et peu importe que j’abhorre autant les pommes que la cuisine anglaise. Eva in London a ses raisons que la raison ignore.

Je trébuche au premier obstacle : la liste d’ingrédients, qui me plonge dans un abîme de tergiversations. Du beurre salted, est-ce la même chose que du demi-sel ? Où trouver de la farine T65 ? La vergeoise, késaco ? Tesco me propose du sucre muscovado, du dark brown, du light brown, des molasses, du Golden Syrup… mais pas de vergeoise. Google m’informe obligeamment qu’il s’agit d’une spécialité du Nord de la France. Génial. Je confectionne le dessert le plus typiquement britannique qui soit, mais version ch’ti.

Les bras chargés de trois sortes de sucres, un kilo et demi de pommes Fuji (dont le nom japonisant me tracasse, moi qui étais partie à la recherche de « Reines des Reinettes ») et deux plaquettes de beurre (unsalted et salted, on ne sait jamais), je reviens vaillamment à la maison, où m’attend une déplaisante odeur de brûlé. Etrange.

Un rapide passage en revue du minuscule coin cuisine m’apprend que rien ne sert de mettre le four à préchauffer 1h30 à l’avance. Surtout quand le dit four contient le reste de plat cuisiné de la veille.

Je ne me laisse pas abattre pour autant, et me lance dans la confection du crumble proprement dite, bien décidée à suivre la recette à la lettre : une première fois se prête mal à l’improvisation. Cependant, j’ « oublie » de faire revenir les pommes dans un peu de beurre et de sucre (« Elles cuiront très bien au four ») et me contente de doser plus qu’approximativement le sucre et la cannelle.

Voici enfin venu le moment de mettre la main à la pâte – expression que je prends au pied de la lettre.

Le beurre a beau fondre entre mes doigts rapidement tout graisseux, il refuse obstinément de se combiner à la farine all purpose. Sans doute est-ce parce qu’il sort directement des rayons réfrigérés du supermarché. Qu’à cela ne tienne : j’enfourne mon mélange pas du tout mélangé de beurre salted et de farine anglaise. Quelques minutes après, je récupère, désappointée, une mixture peu appétissante.

18h55. Prince va bientôt rentrer. Pas le choix : je me salis à nouveau les mains, jure en me brûlant les doigts et amalgame comme je le puis le beurre brûlé à la farine. Enfin, la touche finale : les pommes (pas cuites, pas caramélisées et pas Reines des Reinettes).

– C’est succulent, grimace Prince en avalant péniblement ce qui ne ressemble que de très loin à un crumble aux pommes (ch’ti ou anglais).

C’est pour ça que je l’aime.

Et pour vous, la cuisine : corvée, passion ou mystère ?

Soirée de djeuns, ou comment Eva in London et Prince profitent à fond de la nightlife londonienne (en pantoufles)

J’ai beau être à la fois cultivée et toujours prête à aider mon prochain, il y a des questions auxquelles je serais bien en peine de répondre. En vrac :
– Comment réussir un caramel ?
– Pourquoi le ciel est-il bleu ?
– Qui étaient les chevaliers de la Table ronde ?
– Où sortir à Londres ?

La bonne nouvelle, c’est qu’on survit très bien sans connaître la réponse aux trois premières questions (même si, je sais, un petit coup de Wikipédia ne me ferait pas de mal). La mauvaise, c’est qu’à chaque fois qu’une vague connaissance ou un ami d’ami me demande de lui recommander un bar, une boîte ou même un pub sympa à Londres, je suis prise d’un intense embarras. Les rares fêtards parmi mes amis – j’entends par là ceux qui sortent plus d’un samedi par mois – savent bien que je ne suis pas sortie depuis 2005.

Malgré toute la mansuétude dont ils font preuve à mon égard, je ne parviens pas encore tout à fait assurer ma mémére-attitude. Depuis que mes meilleures amies m’ont offert un « kit – mémé » pour Noël il y a quelques années, comprenant pas moins de six tisanes différentes dont les électrisantes « Nuit tranquille » et « Digestion facile », un bocal de miel et une bouillotte, il me semble que je me vautre prématurément dans l’apathie lénifiante. Comment admettre qu’au bout de deux ans d’expatriation à Londres, je n’ai jamais mis les pieds dans un bar ? Que la seule fois dans l’année où je mets les pieds au pub, c’est pour éviter la désapprobation de SuperChef ? Que quand une amie trentenaire me demande « C’est comment, le Ministry of Sound, maintenant ? J’en ai un souvenir génial ! », il me faut quelques instants pour comprendre qu’elle parle d’une boîte branchée où je ne mettrais les pieds que sous la torture ?

J’ai néanmoins quelques excuses éléments d’explication :
– Je n’ai jamais été cool. A dix ans déjà, accoutrée d’un jogging rouge, de lunettes roses en forme de papillon et d’un sac à dos particulièrement inacceptable socialement, je m’étais résignée. J’aime à me dire que c’est la responsabilité en incombe à mes parents (une tentation à laquelle il est si bon de céder), fautifs de ne point m’avoir transmis le gène de la coolitude ; malheureusement, mon frère étant la coolitude incarnée, ma défense ne tient pas.

– Une amie expatriée à Barcelone, grande noctambule devant l’Eternel (telle Cendrillon, elle rentre chez elle après minuit), se targuait récemment d’avoir « toujours envie de sortir : ben oui, il fait si beau et chaud que ça serait trop dommage de rester chez soi ! ». Tapie dans mon 31 m2 londonien, je ressens précisément le contraire : il fait si gris et froid que ça serait trop dommage de s’aventurer dehors.

– Prince est légèrement plus cool que moi ; il se murmure même qu’il a déjà mis les pieds en boîte. Mais si j’incarne la non-coolitude, il est, lui, la pantouflardise personnifiée. Un resto ? A quoi bon, il reste des pâtes au frigo. Un ciné ? On sera tellement mieux sur le canapé à essayer de regarder un film en streaming sur un obscur site chinois (qui plantera trois fois et qui coupera malencontreusement les cinq dernières minutes du film). Un théatre ? Mmm. Il pleut, dehors, non ? Non ? Je pense qu’il va bientôt pleuvoir (en même temps, à Londres, si on attend suffisamment longtemps, il va toujours bientôt pleuvoir).
Heureusement pour lui que c’est l’Homme le plus beau du monde.

– Enfin, et sans vouloir faire pleurer dans les chaumières, quand on n’a pas d’amis, se motiver pour trouver une idée de sortie, prendre les billets, rappeler à son bien-aimé que « c’est ce soir qu’on sort mon chéri, tu n’oublies pas, hein ? », arracher le sus-dit Prince au confort de son divan et assumer si la sortie se révèle être le pire spectacle auquel vous ayez jamais assisté, tout cela devient tout bonnement mission impossible.

Il arrive néanmoins à Eva in London et Prince de sortir – un grand moment de branchitude que je ne manquerai pas de vous conter (quand je l’aurai écrit).

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Génération X contre génération Y : le match des générations*, ou comment nous sommes devenus accros à Internet

(*et non des sexes)

Ce qu’il y a de bien, quand on travaille pour un cabinet de conseil « en management » (dénomination qui m’a toujours semblée énigmatique), c’est que même en n’étant pas cool du tout, comme moi, on arrive quand même à choper deux ou trois termes tendance au passage. Bon, ces tendances-là sont généralement le fruit de la méditation embrumée de consultants très très seniors à qui on a indiqué qu’ils feraient mieux de justifier leurs salaires en concevant quelques idées novatrices de ci de là plutôt qu’en annotant les tableaux Excel des petits grouillots comme moi ; autant dire que niveau coolitude, ça se pose là. Mais faisant feu de tout bois, je ne manque jamais d’exposer les dits concepts novateurs dans les dîners mondains lorsque je retrouve mes amis parisiens une fois par mois.

Ce mois-là, le terme que ressassaient les SuperConsultants, rendez-vous client après rendez-vous client, c’était « Génération Y ». Et si – corrigez-moi si je me trompe – la notion a depuis déboulé en France, à l’époque, nos SuperConsultants n’étaient pas peu fiers de discourir sur la meilleure manière de « manager » les « Générations Y », justifiant ainsi leur positionnement de spécialistes du « management » :

– comment leur donner envie de venir travailler pour votre multinationale à open spaces de 1 500 personnes par plateau

– comment les motiver une fois qu’ils ont découvert « leur » plateau (la signature email de l’un de nos clients contenant ainsi son « adresse » open-spacesque : E2.15.03, encore mieux que le matricule pour donner l’impression d’être irremplaçable aux yeux de son employeur)

– et enfin, comment réussir à les faire bosser autant que leurs aînés, mais sans la sécurité de l’emploi ni la garantie d’une retraite digne de ce nom.

Autant dire que le sujet captait toute l’attention de nos SuperClients.

Mais au fait, Génération Y, késaco ?

Je laisse les explications sérieuses à des publications plus crédibles que la mienne, mais mon interprétation de la chose tient en une phrase : jamais sans ma connexion. Smartphone, iPad, GPS, netbook, ordinateur portable et j’en passe, le représentant de la génération Y est sans cesse connecté. A quoi, à qui, je ne sais pas très bien, mais une chose est sûre, il est online.

A part pour faire mon intéressante, les cocos de la génération Y me laisseraient sans doute assez indifférente… si seulement je n’étais pas fiancée à l’un d’eux.

Si la date de naissance de la génération Y fait débat auprès des experts, je pourrais les renseigner, moi : il s’agit de LA journée qui sépare la naissance de Prince de la mienne. Nous avons beau être nés à deux jours d’écart, un fossé générationnel nous sépare ; tandis que Prince a les yeux audacieusement tournés vers le XXIème siècle, je me languis du XXème dont je n’ai toujours pas fait le deuil en digne « Génération X » (les ringards, quoi). Et les conséquences sur notre vie de couple abondent.

Disons les choses comme elles sont : Prince vit sur Internet. En arrivant au bureau le matin, il retrouve avec joie ses huit écrans, apparemment tous indispensables, et rebranche sa perfusion aux news Bloomberg 24 heures sur 24, au cas où les huit écrans n’y suffiraient pas. Lorsqu’il quitte le travail, son smartphone est là pour lui fournir les nombreuses informations susceptibles de lui avoir échappé pendant la journée, on ne sait jamais, des fois qu’il aurait travaillé. En rentrant au foyer, ô soulagement, il peut enfin consulter ses mails personnels, interdits d’accès à la banque dans un semblant de tentative de limiter les fraudes. 48 secondes après avoir démarré l’ordinateur, Prince nage dans la félicité virtuelle, face à cinq onglets différents, dont un site d’informations en hongrois (décidément, on n’est jamais trop informé, surtout lorsqu’on se limite aux gros titres), de la musique, un blog spécialisé dans les gadgets divers et variés, un blog pour le faire rire et un cours de finance en ligne (oui oui, ça existe).

Et moi, pendant ce temps ? Je râle.

Je râle parce que mes CD prennent la poussière, « mais à quoi bon lancer un CD puisque tout est sur spotify ? ».
Je râle parce qu’il a beau être 23h30, Prince traque encore l’info cruciale qu’il a dû rater sous la douche entre 23h15 et 23h25.
Je râle parce que j’ai l’impression que je suis sur le point de m’engager à épouser, non seulement Prince, mais l’attirail électronique qui l’escorte.
Je râle parce que skype, c’est bien, mais au lieu de jurer en hongrois (ce qui est quand même toujours poilant) parce que ça coupe pour la quatrième fois en dix minutes, Prince n’a qu’à décrocher notre bon vieux combiné.
Je râle parce que si on a décidé de ne pas acheter de télé, ce n’est pas pour se retrouver devant BBC iPlayer un soir sur deux – même si je dois avouer que leurs documentaires sont tout bonnement excellents.
Je râle parce que mes ouvrages d’histoire, fiches de cuisine, manuels de photo et autres beaux livres croupissent sur nos étagères, pendant que Prince surfe sur Wikipédia pour répondre à toutes les questions que je peux lui poser. « Ben oui, sur Internet, y a TOUT ». Imbattable, comme raisonnement.

Face à tant d’aplomb, je m’énerve, je hausse le ton, je menace de couper Internet pour la soirée. Rien n’y fait. Et pour cause : la vraie accro à Internet, c’est moi. La radio en ligne, les blogs de cuisine, les mails persos, les photos de vacances de parfaits inconnus sur Facebook, impossible de m’en passer. Et quand Prince rentre et se précipite sur l’ordinateur, me voilà désemparée : comment m’occuper ? Lire un vrai livre ? Un vrai journal ? Que j’aimerais en être capable… mais Internet semble déjà avoir fait trop de dégâts sur mes méninges. Lire pour de vrai, fournir un effort, alors que je peux flemmarder avec bonne conscience sur le site du Figaro en ne regardant que les images ? Et dire que je reproche à Prince de ne lire que les gros titres… cela constituerait presque un progrès pour moi.

Enfin, en attendant que Prince prenne la mesure de ma duplicité, je continue de râler. C’est encore ce que je fais de mieux.

Et vous, sur une échelle de 1 à 10, à quel point êtes-vous accro à Internet ?

Pourquoi les femmes ne devraient jamais tomber malades

Chez les Anglais, chochotte est un terme proprement masculin ;  ici, on se plaît à rappeler que lorsqu’une femme a un rhume, c’est bien un simple rhume (cold), alors que lorsque c’est le mâle qui est atteint, le rhume mute en véritable grippe… très masculine (man flu). Prononciation correcte de man flu : teintée d’ironie toute britannique, laissant penser que les hommes, décidément, n’aiment rien tant que se faire materner, chouchouter et bichonner lorsqu’ils sont malades. Les soins seront de préférence prodigués par une infirmière souriante, blonde et en blouse blanche (la pudeur m’empêchant de développer cette description), mais à défaut, une épouse d’ordinaire acariâtre, brune et en jogging fera l’affaire à la condition expresse qu’elle prenne la maladie de l’homme très au sérieux.

Et c’est ainsi que perdure la paix des ménages durant les rhumes des hommes. Cette grave maladie constitue somme toute une épreuve parmi d’autres dans le parcours du combattant de la vie conjugale : certains couples en ressortent fragilisés (un gémissement de trop, et le couperet tombe : « Tu as un rhume, tu n’es pas en train de vivre tes dernières heures ! Maintenant ça suffit, tu te lèves et tu m’aides à préparer le dîner ! »), d’autres renforcés (« Que tu as été courageux, mon chéri. Tu m’as l’air en bien meilleure forme. Pour fêter ta guérison presque complète, et si on se mijotait un petit repas aux chandelles ? »)

Tout est une question de diplomatie.

Ami(e) lecteur / lectrice, tu ne seras pas surpris(e) d’apprendre que la diplomatie n’est pas mon fort. En revanche, être malade, si. La chochotte du couple, c’est moi, moi, et moi.

Illustration cette semaine :

–          Lundi : dans le bus qui me mène chez SuperConseil, comme à l’habitude, je m’emmitoufle dans mon écharpe à la moindre toux suspecte (elles le sont toutes), au moindre éternuement (on ne t’a jamais appris à mettre la main devant la bouche, ou tu veux vraiment partager tes microbes avec tous le bus, parce que je crois qu’il y en a, au fond, sur qui tu n’as pas postillonné), à la moindre figure fiévreuse. Ce n’est pas de ma faute : telle une malédiction, une phobie de la saleté et des microbes se transmet de mère en fille dans ma famille depuis trois générations.

–          Mardi : étant parmi les dernières arrivées au bureau, je constate avec surprise qu’il reste une place au milieu de six bureaux occupés par des collègues tous plus sympathiques et bienveillants les uns que les autres. Cinq minutes me suffisent à comprendre : deux d’entre eux éternuent et se mouchent à qui mieux mieux. C’était bien la peine de changer trois fois de place dans le bus ce matin. Et quelque chose me dit que je risque de passer pour une antisociale finie si je traite mes collègues malades en pestiférés et change de place ici aussi. Déjà qu’on me reproche régulièrement de ne pas aller assez souvent au pub…

–          Mercredi : d’abord, des frissons. Puis mal à la gorge. Enfin, un lancinant mal de crâne. Pas de doute : malgré mes efforts, j’ai été contaminée. Je suis malade. Ma première pensée : « Je peux me faire plaindre ! ». Je passe l’après-midi à soupirer, tousser, me prendre la tête entre les mains. Rien n’y fait : personne ne semble rien remarquer. On dirait presque qu’ils ont mieux à faire que de se préoccuper de mon état de santé (travailler ?).

Aux grands maux, les grands remèdes. Je lance à la cantonade :

– Quelqu’un aurait une aspirine ? Je ne me sens pas bien du tout, j’ai mal à…

Sans attendre la fin de mon monologue, une  collègue (une seule !) daigne relever la tête, farfouille dans son tiroir et me tend des cachets sans un mot. C’est tout ? Pas de « Oh, poor you » cher aux Anglais ? Pas de commisération ? C’est sûr, je trouverai une oreille plus clémente auprès de Prince. Je lui envoie aussitôt un mail suintant l’auto-apitoiement. La réponse ne se fait pas attendre. Elle tient en une ligne : « Prends une aspirine ». Super.

–          Mercredi soir : initialement décidée à réserver un accueil plutôt froid à Prince, je change d’avis en repensant aux nombreux échecs passés consécutifs à cette stratégie. Je choisis donc la lamentation, avec tenue assortie : pyjama, chaussettes de randonnée extra-chaudes, et trois pulls dont deux à capuche. Hélas ! Mon cher et tendre n’apparaît particulièrement désireux de jouer les infirmières. Au quatrième verre d’eau demandé (pas exigé, hein, demandé ; ce n’est pas parce que je suis malade que j’en oublie les bonnes manières), il se met à soupirer. Nouveau soupir quand je lui indique ma température pour la douzième fois en trois heures (oui, je prends ma température tous les quarts d’heure, on n’est jamais trop prudent). Il me réconforte quand même lorsque je fonds en larmes à la vision d’un 38,5°. C’est sûr, c’est le début de la fin (je vous l’avais bien dit, que j’étais une chochotte.)

–          Jeudi : je ne vais évidemment pas au bureau,  (même pas besoin de congé maladie chez SuperConseil). Prince n’a pas pris sa journée pour rester avec à mon chevet, mais il répond sans faille aux nouvelles que je lui envoie régulièrement (température, état général, moral). Je fulmine contre le cabinet de GP (general practitioners, c’est-à-dire généralistes) qui m’indique que si je veux faire deux heures de queue pour m’entendre dire que « ça ira mieux avec une bonne cup of tea et du repos, pas besoin d’antibiotiques, Mademoiselle », libre à moi. Je me défoule avec six épisodes de suite de Grey’s Anatomy. Les beaux chirurgiens du Seattle Grace Hospital hier soir s’avérent bien plus réconfortants qu’un GP réel mais désobligeant.

Lorsque Prince rentre à la maison, il me trouve au lit, le regard vague  après quatre heures de télé et portant les mêmes vêtements que la veille,. S’il frémit, il n’en montre rien. Il va même jusqu’à m’embrasser… sur la joue. N’empêche, je suis déconcertée : le rôle de garde-malade n’a pas l’air de séduire Prince. On dirait même que c’est une corvée. Je ne suis pas dupe : je le vois bien à son regard, quand je gémis « Je ne me sens pas bien pour la huitième fois en deux heures (presque aussi souvent que je prends ma température, en somme).

–          Vendredi : je reste à la maison, j’ai encore un peu de fièvre. Enfin, j’avais 37,5° hier soir. Ca compte, non ? De toute façon, le plus important, c’est la santé. Je ne vais quand même pas être malade le WE, non plus ?

Voici enfin venu le vendredi soir, et avec lui, la fin de ma maladie. Je reprends peu à peu forme humaine, délaisse mes deux pulls devenus superflus, et enfile une paire de chaussettes normales. Et si je me réjouis de cette guérison quasi-miraculeuse, ma jubilation n’est rien à côté de celle de Prince. Il m’avoue alors la vérité : non, ma tenue de malade n’est pas sexy. Non, mon ton geignard et mon auto-apitoiement non plus. Non, s’occuper d’une loque à peine visible derrière deux capuches n’est ni viril, ni gratifiant.

Etrange, étrange. Moi, j’adore m’occuper de Prince lorsqu’il est malade. Le problème, c’est qu’il ne l’est jamais.

C’est dormir toute la vie que de croire à ses rêves (proverbe chinois)

J’ai tout essayé : m’emmitoufler dans la couette (trop chaud). La rejeter à mes pieds (trop froid). Lire un bouquin intéressant (trop intéressant). Lire un bouquin ennuyeux (trop ennuyeux).

C’est décidé : je n’arrive pas à dormir. D’ordinaire, cela n’a aucune importance : il me suffit d’être suffisamment en forme pour passer la journée à me demander comment m’occuper, et de mobiliser toute mon énergie pour accueillir Prince au foyer comme il se doit.

Mais à minuit et demi, l’heure est grave : demain, il s’agit de briller de mille feux (ou plus simplement faire illusion huit heures d’affilée) pour ma première journée de boulot de sous-grouillotte chez SuperConseil. Et pour ça, j’ai besoin de neuf heures de sommeil. Au grand minimum. Vraiment. Je vous vois ricaner d’ici : « Neuf heures ?! Elle n’a vraiment rien de mieux à faire que de dormir et raconter sa vie, cette Eva in London. Je tiens très bien avec sept, moi ! »

Si tel est votre cas… grand bien vous fasse. Moi, si je dors moins de neuf heures, j’ai du mal à garder les yeux ouverts toute la journée, surtout après le déjeuner (j’ai alors recours à ma dose quotidienne de chocolat). En dessous de huit, Prince hésite à m’adresser la parole. A moins de sept, j’ai tendance à devenir violente, et en dessous de six… je préfère ne pas en parler sous peine d’écorner prématurément une réputation déjà mise à mal par d’autres révélations.

Minuit et demi, donc. Un rapide calcul mental me confirme que je m’approche dangereusement de la barre fatidique des sept heures de sommeil. En même temps, je ne me suis pas ennuyée durant les deux heures qui viennent de s’écouler. Mon cerveau semble en effet avoir subitement décidé que 22h30, la veille de mon premier jour de boulot, était le moment idéal pour se lancer dans une série d’interrogations existentielles :

– Et si je ne m’entends pas avec mes collègues ? (il y a quinze ans, c’était « et si les autres enfants y sont méchants avec moi ? » ; on ne change pas une Eva in London qui rumine)

– Et s’ils se rendent compte tout de suite que je porte le même tailleur que lors des entretiens et qu’ils me renvoient à la maison tant que je n’ai pas investi dans une tenue présentable ?

– Et si mon collant file avant même d’arriver ?

– Et si j’arrive en retard ?

– Et si ma jupe se coince dans mon collant en sortant des toilettes ? (ne riez pas, ça m’est déjà arrivé)

– Et si ma jupe se coince dans mon collant filé et que je montre ma culotte à tous mes nouveaux collègues qui seront justement en train de dire que quand on n’est pas fichue de s’habiller correctement pour un premier jour de boulot, au moins on arrive à l’heure ?

N’ayant trouvé de réponse satisfaisante qu’à une seule de ces questions (pour ne pas arriver en retard, rien de plus simple : il suffit de ne pas s’endormir), me voilà dans un état de panique avancé. Il est maintenant plus d’une heure du matin. A ce stade, il ne me reste qu’une seule solution :

– Tu dors ? murmuré-je en me penchant vers Prince.

– Oui.

– J’arrive pas à dormir.

– Hum, grogne-t-il, prudent. « Hum » présente en effet moins de risques qu’un plus spontané « Trop dur pour toi ».

– Tu peux me prendre dans tes bras pour que je m’endorme ?

– Hum, marmonne-t-il en étendant lentement un bras dans ma direction.

Je choisis de prendre ça pour un oui. C’est quand même pas si mal, de vivre avec un Prince.

Merci Camille pour ce super dessin !

TV or not TV

Avec le déménagement à Londres, notre couple se trouve confronté à moult questions existentielles. Certaines sont aisément résolues, comme de décider qui aura le bon côté du lit (moi), et qui se retrouvera écrasé contre le mur (Prince). D’autres sont plus épineuses. Telle celle-ci : « mais où va-t-on mettre la télé ? ».

Deux solutions s’offrent généralement au jeune couple :

– Le salon : l’on évitera ainsi tout silence pesant pendant le dîner – et, par la même occasion, le mâchouillement pas très glamour de l’autre aux prises avec un bifteck récalcitrant

– La chambre à coucher : cette solution offre la plaisante possibilité de s’endormir dans les bras l’un de l’autre, mais présente le risque très réel d’annihiler toute velléité d’activité… plus exigeante, dirons nous.

Pour Prince (surnom de Prince Charmant Presque Parfait) et moi, la question est plus épineuse encore. Avant de partir à Londres, nous en avons fait l’amère expérience en habitant quelques mois ensemble dans un cagibi de 23 mètres carrés – épisode douloureux qui a bien failli marquer la fin de notre couple, mais ceci est une autre histoire.

Quoi qu’il en soit, la télé n’est pour nous pas une simple pomme de discorde ; elle met tout bonnement en péril le fondement même de notre relation : le respect que nous nous portons. Explication :

– Soit c’est Prince qui regarde avec mépris la larve hypnotisée que je deviens devant les émois de Brandon et Brenda (ah non, ça c’était il y a quinze ans), Carrie Bradshaw et autres Desperate Housewives ;

– Soit c’est moi qui suis consternée de voir que Prince n’est pas seulement fasciné par Turbo (pour les non-initiées : émission consacrée à l’automobile), westerns et autres publicités présentant des femmes dénudées pour vendre des téléphones portables ; non, toute image qui bouge sur un écran (plasma de préférence) fait l’affaire et le rend temporairement – mais durablement – indifférent au monde extérieur.

D’un commun accord, nous avons donc décidé de ne pas acheter de télévision. « Pour l’instant » , me souffle Prince.