En chantant (une déclaration d’amour à l’Angleterre… ou presque)

En ce mois de janvier gris, pluvieux et glacial, je vous propose de plonger avec délice dans le cliché et l’envolée lyrique.

Commençons par l’envolée lyrique : j’aime la France. J’aime ce pays qui n’est pas plat. J’aime le pays de la montagne, de Vesoul et Paris qui s’éveille.  Mais après des années de sournoises et pernicieuses critiques sur l’Angleterre, force m’est de constater que mon pays d’accueil m’a – bien malgré moi – conquise.

Passons aux clichés, et savourons.

Je ne m’énerve plus lorsque le médecin-pas-pédiatre, devant une MiniPrincesse souffrante depuis plusieurs jours, me recommande la patience plutôt que les médicaments. Pour un peu, j’applaudirais même sa mesure et son bon sens. Le soir venu, je relate posément la consultation à un Prince sidéré :  « c’est vrai ça, finalement en France on se bourre de médicaments, et puis les antibiotiques c’est pas automatique ».

Je ne hausse (presque) plus les sourcils lorsque mes collègues ouvrent bruyamment leur sachet de chips au vinaigre à 9h20.

J’ai cessé de tabasser les capots des taxis qui refusent de me céder le passage, parce qu’ici piéton engagé n’a jamais la priorité.

Dans le Tube du matin, je ne remarque (presque) plus les robes-soi-disant-élégantes-oui-même-en-motif-rideau-à-petites-fleurs-roses, décolletés plongeants ou piercings.

Je fais sagement la queue et soupire bruyamment lorsqu’un huluberlu s’avise de passer devant tout le monde, mais me garde bien de lui faire remarquer : ce serait sortir de ma réserve quasi-britannique.

Je pars du travail à 17 heures, parce que je préfère habiter loin et au vert que dans le centre-ville et la pollution.

Je vante à qui veut l’entendre les espaces verts de Londres, le congé maternité de neuf mois, le traiteur indien / thaï / polonais du quartier.

Et tant qu’à faire, j’enchaîne sur la politesse des Anglais, leur humour et leur distinction (sauf le vendredi soir, et le samedi soir, et bon d’accord chaque fois qu’il y a un peu d’alcool qui traîne).

Le signe révélateur suprême (et non ultime) : je me plains encore… mais à l’anglaise. Ainsi, des anglicismes tels que « le service n’est malheureusement pas à la hauteur de mes attentes » et « un remboursement serait grandement apprécié » se glissent dans mes lettres de réclamation en français à l’insu de mon plein gré. Légèrement perturbée, je les corrige bien vite par de plus efficaces et idiomatiques « le service est absolument catastrophique » et « je vous saurais gré de bien vouloir procéder au remboursement le plus rapidement possible ». Ajoutant pour la forme un bon vieux « je vous prie de bien vouloir agréer, Madame, Monsieur, etc, etc. ». Parce que je suis française, moi, Madame, Monsieur.

Soudain, l’angoisse m’étreint. Si tel est le cas, si je suis encore française… où sont donc passés ma mauvaise foi, ma capacité à râler en toutes circonstances et mon amour du terroir ?

Je vous rassure, ils reviennent au prochain épisode.

Et vous, qu’appréciez-vous chez « les autres », pays d’accueil, d’adoption ou destination de vacances ?

Un accident (de la nature) est si vite arrivé

Ca n’a rien à faire sur ce blog.
Oui, mais c’est mon blog.
J’écris ce que je veux, après tout.
Enfin, ces derniers temps, j’écris rien.

Les gens n’ont pas envie de lire ça.
Mais ils aimeraient bien lire quelque chose, les gens.
J’en parle, j’en parle pas ?
Un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout ?

Faute d’effeuiller la marguerite (c’est moi ou y en a pas en Angleterre ?), je ne peux décemment délibérer plus longtemps. Chers lecteurs, votre loyauté n’a de cesse de m’émerveiller. Néanmoins, un mois sans billet, même pour une Eva in London au sommet de son art sa désorganisation et même pour d’adorables lecteurs, c’est long.

Je pourrais vous avouer que je suis sous l’eau, après un mois où Prince et moi avons successivement acheté une maison / vendu un appartement / retiré notre offre sur la dite maison / acheté une autre maison dans un autre quartier moins de 24 heures plus tard. Vous parler de l’ubuesque système bancaire anglais qui m’a fait verser des larmes d’énervement trois jours d’affilée cette semaine. D’ailleurs, ça vaut le coup de griffe, et je ne manquerai donc pas de vous conter ces fantastiques aventures.

Mais la vérité vraie, cher lecteur, c’est que j’ai tant tardé à composer la suite du dernier billet parce que j’étais embarrassée. Si du bonheur il n’y a rien à dire, que dire du chagrin ? Afin d’éviter de tomber dans le journal intime larmoyant, et pour passer rapidement à des choses plus gaies, je vais vous la faire en accéléré.

A la recherche d’un traitement autre que celui que le gynéco anglais m’avait prescrit en 30 secondes top chrono, j’ai fait la connaissance d’un acupuncteur/phytothérapeute tout bonnement épatant. Il m’a reçue une heure trente dans son cabinet au fin fond de la campagne anglaise. Je suis tombée enceinte six semaines plus tard.  Nous nous sommes réjouis sans bien comprendre ce qui se passait. Nous avons annoncé la nouvelle à mes parents, en précisant bien « qu’il était tôt ». « On ne fait pas de fausse couche dans la famille », a dit ma mère.

Peu après, mes symptômes se sont mis à fondre comme neige au soleil. Je me raccrochais à mes nausées comme on s’agrippe à une bouée. N’y tenant plus, j’ai inventé des symptômes autrement plus inquiétants que l’intuition d’une future mère inquiète pour obtenir une échographie à l’hôpital public. L’infirmière (pas d’échographe ici Madame, quelle idée de payer un médecin pour un acte aussi simple) ne parlait que de sac gestationnel, et pas de bébé. Elle fronçait de plus en plus les sourcils. Nous aussi. Une demi-heure plus tard, une infirmière plus expérimentée (toujours pas de médecin) nous a asséné aussi délicatement que possible « 99% » de risque de fausse couche ». Prince et moi avons pleuré. Nous sommes rentrés à la maison. Nous avions de la visite, et nos invités n’ont eu d’autre choix que de m’entendre sangloter à travers la fine cloison. Le lundi, nous avons à nouveau forcé la main de la NHS pour avoir une deuxième échographie, refusant d’attendre le délai de deux semaines qu’on nous avait indiqué (oui oui, deux semaines pour confirmer une fausse couche). Une autre infirmière nous a dit : « Je crois entendre le battement du cœur du bébé. Je crois qu’il a grandi depuis jeudi ». Mais finalement, elle n’était pas sûre. Du tout. Elle nous a donc dit de revenir dans deux semaines. Mon acupuncteur m’a dit de foncer dans le privé le jour même. Deux heures plus tard, la fausse couche était confirmée, et pas seulement à 99%. « Cette grossesse est non évolutive. Il est complètement incompréhensible qu’on ne vous l’ai pas dit clairement », a déclaré l’obstétricien (à 150 livres l’échographie).

Voulant éviter de passer sous le scalpel de cette désormais honnie NHS, j’ai attendu que les choses « suivent leur cours », comme on dit. Rien. J’ai attendu. Toujours rien. J’ai pris les médicaments que j’avais reçus. C’était un samedi, et ce fut le pire jour de notre vie. Seuls dans notre minuscule appartement londonien, loin de toute prise en charge médicale (« N’appelez que si les symptômes hémorragiques durent plus de deux heures », disait la feuille de papier noir et blanc de l’hôpital), livrés à nous-mêmes, nous avons survécu. Le temps a passé, j’ai dû malgré tout subir une opération.

Le temps a encore passé, j’ai arrêté de pleurer tous les jours, le temps a encore passé. J’ai démissionné de mon boulot de SuperConsultante (rapport au fait que je n’avais ni perspectives d’évolution, ni perspectives de congé mat’), quitté l’Angleterre que je ne supportais plus, et repris des études sur mes terres parisiennes. Le temps a passé, et je suis retombée enceinte. J’ai fait le test tellement tôt que je l’ai balancé à la poubelle avant de réaliser qu’il y avait bien, tellement légère qu’elle en était presque invisible, une deuxième bande rose. Loin de Prince, j’ai déployé trois mois durant toutes mes forces à ne pas penser à cette deuxième bande rose. J’y songeais donc la nuit, tandis que le jour, je mangeais plein de bon fromage (pasteurisé quand même), je faisais le marché, je parlais tout le temps français, bref : j’étais chez moi. En France. Et je me rendais compte que la France sans Prince, c’était autrement plus austère que l’Angleterre sans mes amis. Une semaine avant Noël 2010, j’étais au fond de mon lit parisien avec 39° de fièvre et du paracétamol pour seule compagnie.

Trois jours avant Noël 2010, la petite graine a fait une galipette à l’échographie, et j’ai décidé que ça suffisait. Stop au master / deux stages / boulot en freelance. A moi le bonheur. Et l’accouchement en France.

Voilà, j’ai le cœur qui bat en vous narrant tout cela, je me demande si je clique sur Publier, je me dis que ce billet n’est ni impertinent ni rien, mais je me demande comment vous raconter « la suite » en passant sur « tout ça », et puis je publie quand même, parce que ça le tabou qui pèse sur « tout ça » (la stérilité, l’infertilité, les fausses couches), ça suffit.

Et à très bientôt pour un billet plus gai !

Comment faire une bonne action quand on est égoïste : le don du sang (2/2)

5h30, chambre à coucher de Prince et Eva in London (pour le début, c’est ici)

Réveillée par les adorables mais bruyants miaulements de MiniPrincesse, j’extirpe de sous le lit un enième magazine féminin dont je n’ai lu que la couverture – depuis la naissance de notre adorable mais bruyante fille, la phrase la plus longue que j’ai réussi à lire, c’est « Belle en moins de 10 minutes ! ». Les errements de l’euro ? Beaucoup trop longs à suivre.

En feuilletant mon magazine, je tombe sur une chronique intitulée « The happiness project », ou « le projet bonheur » (OK, j’aurais sans doute pu trouver plus idiomatique comme traduction, mais il est 5h30 du matin). J’ai oublié de préciser qu’il s’agit d’une revue américaine : au pays du développement personnel, être heureux me semble parfois avoir été érigé en devoir citoyen inscrit dans la Constitution. Après vérification, il s’avère que « la vie, la liberté et la recherche du bonheur » font bien partie des droits des Américains, d’après la Déclaration d’indépendance)… Et parfois, les ménagères de moins de 50 ans ont besoin d’un petit rappel entre deux virées shopping : d’où la chronique du « projet bonheur ».

Dans ce numéro, l’auteur vante les mérites du bénévolat. « Parce que quoi qu’en disent les gourous du développement personnel, l’estime de soi ne vient pas en vous entendant dire à chaque coin de rue à quel point vous êtes extraordinaire, ni même en vous le répétant devant votre glace à longueur de journée, mais tout simplement en accomplissant des choses qui vous rendent fier de vous ».

Ajoutez à cela le fait que les bénévoles sont en meilleure santé, vivent plus longtemps et sont plus heureux que les autres (l’auteur rappelle que les philosophes grecs, déjà, nous avaient enseigné que ce sont les relations sociales qui font le bonheur ; les pontes du self-help n’ont rien inventé) ; la démonstration est faite.

Mon expérience du bénévolat se limite à une catastrophique séance d’alphabétisation, au bout de laquelle la responsable de la Fondation de France m’avait prise à part pour m’expliquer que ce genre de choses ne s’improvisait pas et que j’allais quand même devoir me former un minimum. Moyennant quoi, j’ai laissé tomber, et comme Prince se plaît à me le rappeler régulièrement, c’est sans doute de ma faute si un orphelin de 16 ans traîne aujourd’hui dans les rues d’une grise banlieue parisienne, analphabète et toxicomane.

L’auteur, elle, est bénévole à la très prestigieuse New York Public Library. Pour ceux qui ne sont pas aussi snobs intellos, elle invite les lecteurs à donner leur sang et/ou leurs plaquettes ; un geste simple, qui prend peu de temps et dont on est sûr qu’il sauvera la vie à quelqu’un. Une bonne action à la rentabilité assurée : intéressant. Je découvre cependant qu’en tant que jeune maman, la NHS ne m’autorise pas à donner mon sang. Pas de problème : j’ai un donneur tout trouvé.

– Tu dors ?
Prince marmonne :
– Mmm. Qu’est-ce qu’il y a, encore ? Je viens à peine de me rendormir (sic).
– Ca te dirait de donner ton sang ?
– Si tu me laisses dormir, je ferai tout ce que tu veux, et plus encore.
– Génial. Il y a un centre de don du sang à dix minutes d’ici. Je t’ai déjà pris rendez-vous.

Un peu de bluff, ça ne coûte rien.

Donner son sang, ça ne coûte rien non plus :
– plus d’infos pour donner son sang en Angleterre
14/11 : we always need all types, but at the moment we particularly need O- B- and AB- donations
– plus d’infos pour donner son sang en France :
14/11 : réserves de sang très fragiles : l’Etablissement Français du Sang appelle à une forte mobilisation des donneurs.
La fin d’année 2011 s’annonce particulièrement difficile pour l’EFS, tant la consommation des malades en produits sanguins est soutenue. Nous devons nous mobiliser, donnons notre sang !

PS : et la gagnante du concours est… Carine ! Je te fais parvenir ton panier gourmand (assez) rapidement.

Nom : Eva in London. Age : 26 ans. Signes particuliers : « Typical French » (2/2)

La réceptionniste, semblant émerger d’une profonde léthargie, me lance soudain :
– Eva in London ?
– Oui, c’est moi.
– Descendez en salle de consultation n° 3, s’il vous plaît.

Instruction énigmatique s’il en est. D’escaliers, que ce soit pour descendre ou pour monter, je ne vois point. Sentant mon désarroi, la réceptionniste, sans doute épuisée de s’être adressée directement à un patient, désigne une double porte d’un signe de la tête encore plus imperceptible que le premier.

Je prends mon courage à deux mains et pousse les battants de la porte. Un long couloir se présente à moi. De numéro de salle de consultation, point. Et le couloir est désert. Telle une héroïne de film d’horreur, je m’enfonce néanmoins dans les profondeurs de la surgery. Mon courage est bientôt récompensé : j’aperçois des escaliers. Et en plus, ils descendent.
Comme personne ne semble m’attendre, je dédaigne les nombreux panneaux m’interdisant de faire autre chose qu’attendre sans broncher, et toque nettement à la porte de ce que j’espère être la salle de consultation n°3.
– Entrez ! lâche une voix sèche
– Bonjour, Docteur Raciste.
– Bonjour, Eva in London. Vous êtes en retard.

Je hausse un sourcil, prête à monter au créneau pour défendre mon honneur de patiente disciplinée, puis me ravise en me rappelant que je viens dans un esprit de conciliation. Et puis, si je veux que la NHS me paie des examens inconnus au bataillon de la santé publique anglaise, j’ai intérêt à ne pas faire d’esclandre – en tout cas, pas tout de suite.

– C’est pour quoi ? m’interroge Dr Raciste d’une voix lasse.
– Eh bien, je suis française, et je vais me marier (froncement de sourcil de Dr Raciste). Dans mon pays, on a besoin que le médecin vérifie si on est immunisé contre la toxoplasmose et la…

Dr Raciste m’interrompt sans égards.
– Non, écoutez, on ne fait jamais ça, la toxoplasmose.

S’ensuit un débat sur le bien-fondé ou non des examens pratiqués par les médecins français. Je m’échine à démontrer à Dr Raciste qu’utile ou pas, j’ai absolument besoin de ces tests. Devant son refus d’écouter tout argument rationnel, comme « Si on le fait en France, c’est bien que c’est utile ! », le ton monte.

– Et je fais comment, alors ?
– Je ne sais pas, vous vous débrouillez. La NHS ne fait pas de test contre la toxoplasmose.
– Ben, et pour les femmes enceintes, comment elles se débrouillent ?

Dr Raciste hausse les épaules :
– Ecoutez, vous voulez que je vous dise ? C’est vraiment une invention de Français, ça, la toxoplasmose. Ca touche tellement peu de monde que ça ne vaut vraiment pas le coup de dépenser l’argent public pour ça. Donc, pour votre test, vous irez voir ailleurs.
– Et la rubéole ?

Dr Raciste lève les yeux au ciel. Serait-elle en train de consulter discrètement l’horloge au-dessus de son bureau ?

– Ah non, on ne traite qu’un problème à la fois, ici (parce que tu as l’impression de l’avoir traité, là, mon problème ?). Pour deux questions, il faut prendre deux rendez-vous d’affilée, sinon on ne tient plus du tout nos horaires (ah, y avait des horaires ?). Je ne peux pas me permettre de passer plus de dix minutes avec chaque patient, et là, ça fait déjà presque quinze minutes que vous êtes là. En plus, vous étiez en retard.

Je me retiens de réagir à cette nouvelle provocation pour me concentrer sur l’essentiel : trouver un moyen de me marier avec Prince malgré les obstacles que la NHS mettra sur notre chemin.

– Mais c’est la MEME question ! J’ai besoin d’un test de rubéole ET d’un test de toxoplasmose. Sinon, je ne peux pas me marier !

Au bout de sept minutes de plaidoyer enflammé, Dr Raciste cède et me tend une ordonnance. Conformément à ses principes, elle n’a « traité » qu’un seul de mes problèmes : je n’ai droit qu’à un test contre la rubéole.
En revanche, elle a eu tout le temps de pianoter furieusement sur son ordinateur. De mon dossier, je ne distingue que deux mots :
« Typical French ».

Décidément, je crois que la NHS et moi, on n’est pas près de se rabibocher.

PS : merci Camille pour cette nouvelle illustration !

Nom : Eva in London. Age : 26 ans. Signes particuliers : « Typical French » (1/2)

Il fait froid. Et sombre. Seul un pâle rayon de soleil hivernal perce à travers les vitres poussiéreuses de la salle d’attente du cabinet médical (surgery) où j’ai échoué dans le seul but d’obtenir les examens nécessaires à la constitution de mon certificat médical prénuptial, pièce apparemment indispensable à la République Française pour m’autoriser à me marier.

Dans cette phrase aussi longue que mon attente, le maître mot est échouer. Tout, ici, sent la morosité ; OK, un passage chez le médecin génère rarement autant d’enthousiasme qu’une sortie au spa ou au pub, mais même les réceptionnistes ont l’air d’avoir besoin d’une bonne dose d’antidépresseurs. A mon arrivée, c’est tout juste si j’ai droit à un hochement de tête m’enjoignant à patienter sans poser de questions. Au bout de vingt minutes d’attente sans signe de vie du médecin (GP) ni information de la chaleureuse réceptionniste, je commence à me demander où j’ai atterri. Mes deux compagnons d’infortune semblent, eux, prendre leur mal en patience, se contentant de m’éternuer dessus à intervalles réguliers (ma bête noire). Si ça continue, je vais repartir sans le sésame qui me rendra bonne à marier (un test d’immunisation contre la toxoplasmose et contre la rubéole), mais avec un rhume carabiné.

Il faut dire que si seulement j’avais été un peu plus « génération Y « , j’aurais sans doute flairé l’embrouille en parcourant les commentaires des patients sur le site de la NHS :

Ce que vous avez aimé dans cette surgery :

La plupart des réponses tiennent en une ligne. Morceaux choisis (tous réels) :

Je ne sais pas trop : so British ! Une réponse qui constitue en Angleterre l’équivalent d’une volée de bois vert dans nos contrées françaises de râleurs invétérés

Rien : pas British du tout, mais tellement plus honnête

C’est propre : ben… je ne voudrais pas faire ma mauvaise tête, mais à en juger par la couche de poussière sur la table basse à côté de moi, rien n’est moins sûr. Mais après tout, qui aurait l’idée saugrenue d’exiger de son cabinet médical un minimum d’hygiène ?

Ce qui pourrait être amélioré (on notera ici aussi la formulation so British) :

Là, les désenchantés s’épanchent. Morceaux choisis (toujours véridiques) :

Les réceptionnistes ont tout fait pour me dissuader de m’inscrire : je ne peux m’empêcher de me demander si, en remettant les âmes égarées dans le droit chemin (loin de cette surgery), elles ne seraient pas tout bonnement poussées par un sens aigu du service public.

Le téléphone sonne dans le vide – où sont les réceptionnistes ? Parties avaler leur dose de Prozac ?

Les urgences de l’hôpital voisin m’ont demandé de voir un médecin le plus rapidement possible, et la réceptionniste m’a proposé sans ciller un RDV 10 jours plus tard : Décidément, les réceptionnistes ont la cote auprès des patients.

Le médecin a refusé de me prescrire mon traitement : il y a une justice – les médecins aussi en prennent pour leur grade.

On peut toujours faire preuve de plus de patience, mais je sais qu’au fond le personnel fait de son mieux : ah ! Enfin un vrai Anglais qui n’ose pas attaquer frontalement, même sur Internet.

Tout : sans commentaire.

Des commentaires plutôt instructifs, donc. Mais voilà, à 11h40, en ce jeudi de novembre, je n’ai qu’une vague idée du gouffre d’inefficacité dans lequel je suis tombée. J’ai pourtant déjà une dent contre la NHS, mais que voulez-vous, dans une optique judéo-chrétienne d’auto-amélioration permanente, je lutte contre ma tendance naturelle à la vindicte. Je compte bien donner une nouvelle chance au système de santé britannique.

Je suis loin de me douter que la NHS, elle, prépare sa revanche.

9 pièces à fournir… ou autant de prétextes pour ne pas se marier ?

Le dossier de mariage, c’est bon – merci, Papa.
Là où ça se corse, c’est lorsqu’on l’ouvre…

Un extrait d’acte de naissance daté de moins de trois mois à la date du mariage : jusque là, pas de souci. Le super site Internet de ma mairie promet même de me faire parvenir le nombre d’exemplaires de mon choix sous cinq jours. En Hongrie, ça l’air plus compliqué. « On a un seul acte de naissance pour toute la vie », m’explique Prince, le front tout plissé. « Il est absolument crucial de ne pas le perdre. Tu me jures qu’on me le rendra après ? ». « Bien sûr, choupinet », réponds-je, un brin désinvolte.
Prince ne reverra jamais son seul et unique acte de naissance.

Une pièce d’identité en cours de validité à présenter aux fonctionnaires établissant le dossier : « Vous avez ça, en Hongrie, un passeport ? ». Prince saisit au vol cette nouvelle opportunité de passe d’armes franco-hongroise : « Ce n’est pas ce qu’ont l’air de penser les douaniers français, puisqu’ils mettent des plombes à l’examiner à chaque fois… c’est marrant, les Anglais n’ont aucun problème avec, eux ! »
Je dois bien reconnaître que, depuis que le passeport hongrois a adopté la même couleur marron que le passeport français, le temps d’examen du passeport de Prince est passé de 85 à 8 secondes… sans qu’un lien de cause à effet puisse évidemment être établi.

Un certificat de contrat de mariage émanant du notaire, si vous avez opté pour cette formule : ah non, là on n’opte pour aucune formule, nada, pas besoin de couper les cheveux en quatre, ni la Porsche de Prince en deux (malheureusement, trois ans après, toujours aucune trace de la Porsche, ni même d’une fortune grandissante planquée sous l’oreiller)

Un certificat médical prénuptial datant de moins de deux mois à la remise du dossier. C’est votre médecin qui procédera à cet examen clinique en vous envoyant faire une prise de sang pour déterminer votre groupe sanguin, ainsi que des tests pour déterminer si vous étes immunisée contre la rubéole et la toxoplasmose en cas de grossesse. Votre conjoint devra lui aussi faire une prise de sang pour déterminer son groupe sanguin et son rhésus, afin de connaitre les éventuelles incompatibilités avec vous en cas de grossesse. Enfin, il vous proposera aussi un test de dépistage du sida non obligatoire : je sens que la NHS va sauter de joie à l’idée de déterminer gratuitement mon groupe sanguin et mon éventuelle immunisation contre la rubéole. Je suis sûre qu’elle me proposera même un test de dépistage du sida.
Je ne m’étais pas trompée : les choses se sont tellement envenimées chez le GP (médecin) qu’il m’en a coûté une centaine de livres et un « Typical French » inscrit noir sur blanc dans mon dossier médical. L’épisode valant à lui seul un billet, je ne manquerai pas de vous faire part de ce grand moment de service public.
A propos, le certificat prénuptial a été supprimé juste après notre mariage, les 14 millions d’économies ayant été jugés bons à prendre pour combler les milliards de « trou » de la Sécu.

La liste des témoins de mariage, accompagnée d’une fiche d’état civil ou d’une photocopie de leur pièce d’identité : « Ah, c’est vrai, il faut un témoin, j’avais oublié ! ». Nul besoin de le préciser, le commentaire n’est pas de moi.

Si vous avez des enfants à légitimer… « Prince, un enfant à légitimer ? Non ? Parfait, c’est toujours ça de moins à faire. »

Si l’un des mariés est mineur, vous devrez fournir le consentement de vos parents dressé par un notaire ou par l’officier d’état civil. Il vous sera également demandé une dispense qui est accordée par le procureur de la République. « Mineure ou pas, tu aurais peut-être dû demander ma main à Papa, finalement ? Imagine qu’il refuse de nous marier au dernier moment, on aura l’air fins… »

Les personnes de nationalité étrangère auront à fournir un extrait d’acte de naissance rédigé dans la langue originale, ainsi que sa traduction agréée par le Consulat, l’Ambassade, ou par un traducteur reconnu des instances officielles. Il leur sera également demandé un certificat de célibat, les deux certificats devant être visés par la délégation diplomatique : délégation diplmatique, Consulat, Ambassade, késaco ?! Tout ce que j’en comprends, c’est que le brassage interculturel, c’est très bien, mais épouser un Français de souche, c’est mieux – en tout cas, c’est plus simple.

Une attestation sur l’honneur de domicile, de célibat, ou de séparation : Au point où j’en suis, je suis prête à déclarer ce qu’on veut, domicile, célibat, séparation, folie passagère, du moment que la République Française m’autorise à épouser mon Prince.

Congé maladie à l’anglaise

Ce mariage me stresse plus qu’autre chose.

Comme je souffre d’un cruel manque d’expérience dans la préparation de mariage, je n’ai pas la moindre idée de la manière dont je suis censée m’y prendre. Et la pression, elle, ne se fait pas attendre : non seulement le mariage apparaît comme un excellent prétexte pour claquer en quelques heures plusieurs mois de salaire (coût moyen d’un mariage selon l’INSEE : 11 800 €), mais le rapport qualité / prix de ces fugaces moments doit aussi être au rendez-vous. Selon les magazines / prestataires / salons du jour J et autres industriels de l’engagement, gare à vous, future mariée, si cette journée n’est pas au moins « le plus beau jour de votre vie ». Vous en serez tenue personnellement responsable.

Au bout de quinze jours d’intenses rongements d’ongles sur fond de culpabilité (tant d’inaction, un phénomène rare et mal vécu par Eva in London), je me lance dans un exercice apparemment simple : la liste d’invités. Ben oui, si je n’arrive même pas à plancher sur une simple liste – le B.A-BA, me susurrent Jolie Mariée et Un mariage réussi – l’affaire est sans doute bien mal engagée. Ce qui se confirme quand, après trois brouillons, je soumets fièrement à mes parents une tentative présentable :

– Et Prince, il compte venir, à ce mariage ? Parce qu’il n’invite pas beaucoup de monde, commence par remarquer mon père d’un ton égal.

De fait, avec 45 personnes de mon côté, une petite quinzaine du côté de Prince, c’est déséquilibré pour le moins. Heureusement (?), ma mère ne me laisse guère le temps de répondre :

– Tu as oublié ta marraine, relève-t-elle, légèrement surprise. Et pour cause : c’est elle qui l’a choisie.

– Et ton parrain, s’empresse d’ajouter mon père, dont l’agacement devient perceptible. Et pour cause : c’est lui qui l’a choisi.

Me revoici donc au point de départ, avec pour seuls moyens les sentencieuses injonctions de Jolie Mariée et mon courage… soit un équipement largement insuffisant. Pour la première fois depuis mon arrivée en Angleterre, j’envisage très sérieusement de recourir à l’arme fatale des British : to call in sick, se faire porter pâle.

Car ici, rien de plus simple que de sécher le boulot. Et comme la glande constitue l’un de mes sujets de prédilection, je me suis immédiatement intéressée à cet étrange phénomène : certains jours – et plus particulièrement les lendemains de sortie au pub, donc le vendredi, mais le lundi, mardi, mercredi et jeudi ça marche aussi – certains de mes collègues n’apparaissent tout simplement pas au boulot.
D’après les guidelines des ressources humaines, tout SuperConsultant malade doit appeler son supérieur hiérarchique avant 10h. Pour pouvoir faire une grasse mat’ avant de s’offrir le fameux English breakfast dont les vertus sur la gueule de bois ne sont plus à démontrer ? Ou pour être sûr que le dit supérieur hiérarchique soit arrivé au travail, car lui aussi, selon toute probabilité, a trouvé le réveil difficile après une soirée agitée ? Certains parent à cette question en envoyant un email laconique en rentrant du pub ; une technique qui ne semble fonctionner qu’auprès de chefs singulièrement accommodants.

Quoiqu’il en soit, je suis quelque peu effarée, tant devant la fréquence des « congés maladie » de mes collègues que devant le mystère qui les entoure :

– Qu’est-ce qu’il a, James / Mark / Alessandro / Meindert ? demandé-je au début, pleine de sollicitation envers mes pauvres collaborateurs.

– Oh, je ne sais pas… un rhume / une migraine / mal au ventre / pas envie de bosser aujourd’hui, je crois, me répond-on invariablement en haussant les épaules.

Mais le plus déconcertant, pour moi, c’est qu’il ne s’agit pas d’une coutume propre à SuperConseil. Lorsque je confie mon étonnement à mon amie Claire, londonienne comme moi, elle s’esclaffe :

– Congé maladie, congé maladie, mais c’est un truc de Français, ça ! Ici, si les Anglais attendaient un RDV chez le médecin (apparemment, cela peut prendre longtemps, très longtemps…) pour leur signer leur arrêt de travail, ils ne s’en sortiraient pas. Et puis, arrêt de travail ou pas, qu’ils aient la gueule de bois / une grippe / une gastro-entérite / une angine, le médecin leur répond immanquablement « Have a cup of tea et reposez-vous, ça ira mieux d’ici deux ou trois jours ! ». Du coup, c’est ce qu’ils font :  ils se passent de visite médicale et restent tranquillement au lit en attendant des jours meilleurs, d’autant plus sereins qu’ils savent que c’est précisément le conseil que le médecin leur aurait donné ! On dira ce qu’on voudra, mais leur système a le mérite d’être cohérent.

Voilà qui donne matière à réflexion.

– Mais attends, il y a des abus, quand même ? Et le contrôle de la Sécu pour vérifier que tu es bien au fond de ton lit à gémir, et pas en train de faire les boutiques ?

Claire ne relève pas ce vestige de réflexe français (« Et le bon vieux contrôle de l’Etat, dans tout ça ? ») et répond, gênée :

– En même temps, difficile de le leur reprocher : dans ma boîte (Claire travaille chez un concurrent indirect de SuperConseil), on nous donne d’office huit jours de sick leave (congé maladie ?) à utiliser sur l’année… alors, si tu as une santé de fer, autant en profiter !

– Et si tu es vraiment malade et que les huit jours n’y suffisent pas ?

– Ben… tant pis pour toi.

Enfin, comme chez SuperConseil et dans bien d’autres entreprises britanniques, le nombre de jours autorisés semble être directement lié à la crédulité patience du supérieur hiérarchique, le congé maladie à l’anglaise a encore de beaux jours devant lui… et moi, une occasion inespérée de retravailler ma liste d’invités pour éviter de nouveaux incidents diplomatiques.


National Health Service

Demain est un grand jour pour Prince : à 7h30 (oui oui)  il fait sa rentrée à la grande école, pardon, à la grande banque où, s’il ne redouble pas, il deviendra lui aussi un grand golden boy. Tel un enfant à la veille de la rentrée des classes, Prince réfléchit donc depuis 45 minutes à la manière dont il va s’habiller. Mais, là où un adolescent de quinze ans vise la coolitude, Prince s’est, lui, résigné : il a depuis longtemps compris qu’il ne ferait jamais illusion en la matière. En revanche, comme il paraît environ cinq ans de moins que son âge, il cherche désespérément un costume qui lui donne au moins l’air un peu sérieux. 

Malheureusement, je ne lui en laisse pas l’occasion, et interromps ses réflexions avec un strident hurlement de douleur. Prince se précipite dans la cuisine / salon, où il me trouve recroquevillée par terre, la tête entre les mains.

–       Ca va (il paraît à peu près évident que non) ? Qu’est-ce qui s’est passé ? demande-t-il, angoissé.
–       Mmmmhhhh gueeee… cogné… tête… grommelé-je, en désignant le coupable :

un placard resté ouvert pendant que je vidais (distraitement, il faut bien le dire) le lave-vaisselle flambant neuf. 

Aïe. Le sketch du trauma crânien, Prince connaît déjà bien. Trop bien. Je n’ai, en effet, jamais perdu cette bonne habitude, prise toute petite, de faire un petit séjour aux urgences une ou deux fois par an suite à divers chocs à la tête. Very best of :

–       A trois ans, je dévale les 37 marches de l’escalier de ma grand-mère la tête la première. Bilan des courses : douze heures en observation.

–       A cinq ans, je saute joyeusement sur le lit de mes parents pour atterrir sur une moquette pas suffisamment moelleuse pour amortir le choc. Petite joueuse : trois heures aux urgences seulement

–       A douze ans, je décide de passer aux choses sérieuses. Une bagarre éclate dans un couloir du collège, alors nous sommes tous sagement alignés le long du mur. S’ensuit un petit jeu de dominos… pas de bol, c’est moi qui étais le plus près du mur. Résultat : 48 heures à l’hôpital, mais un garçon super mignon dans le lit d’à côté. Malheureusement, il sort avant que je ne sois en état d’articuler une phrase intelligible.

En trois ans de relation, Prince a déjà eu par deux fois l’occasion d’assister à l’immuable sketch : maladresse et manque d’inattention – choc violent – ambulance – urgences. Mais on ne l’avait pas encore testé sur le public anglais.

Celui-ci va se révéler complètement insensible. 

Comme nous n’avons pas de voiture, Prince, pris de panique, m’emmène à l’hôpital au coin de la rue, qui nous refuse sous un prétexte fallacieux (« nous sommes un hôpital psychiatrique »). Nous tentons ensuite le deuxième hôpital le plus proche : encore raté, c’est le Western Eye Hospital. Il est vrai que le nom aurait dû nous mettre la puce à l’oreille.

En désespoir de cause, nous échouons à 23 heures dans un vrai hôpital, avec un vrai service des urgences pas que pour les fous et les aveugles.

 

 –       Remplissez cette fiche, nous lance sèchement la secrétaire. Vous serez reçus par ordre d’urgence (d’importance ?). 

Trente minutes s’écoulent, pendant lesquelles trois patients sont examinés. Puis une heure – deux personnes de plus nous passent devant, mais c’est de bonne guerre : je ne peux pas lutter contre une jambe cassée et un coma éthylique. Au bout d’une heure et demie, Prince lutte contre le sommeil à côté de moi. En même temps, il ferait mieux d’en profiter, étant donné qu’il se lève dans moins de six heures.

Je prends mon courage à deux mains et demande à la secrétaire peu amène combien de temps nous allons encore devoir attendre.

 –      You are the next patient (c’est pas trop tôt)… sauf si un cas plus urgent se présente (soupir), me répond-elle sans lever les yeux. Nous décidons de patienter encore un peu. Prince s’est endormi sur son siège.

Rhume, entorse, mal de tête : on dirait que tout est plus urgent qu’un trauma crânien, dans ce pays. A deux heures du matin, Prince me ramène à la maison : de toute façon, je me sentais mieux.

En revanche, celui qui ne va pas être très en forme demain, c’est Golden Boy.