Nom : Eva in London. Age : 26 ans. Signes particuliers : « Typical French » (2/2)

La réceptionniste, semblant émerger d’une profonde léthargie, me lance soudain :
– Eva in London ?
– Oui, c’est moi.
– Descendez en salle de consultation n° 3, s’il vous plaît.

Instruction énigmatique s’il en est. D’escaliers, que ce soit pour descendre ou pour monter, je ne vois point. Sentant mon désarroi, la réceptionniste, sans doute épuisée de s’être adressée directement à un patient, désigne une double porte d’un signe de la tête encore plus imperceptible que le premier.

Je prends mon courage à deux mains et pousse les battants de la porte. Un long couloir se présente à moi. De numéro de salle de consultation, point. Et le couloir est désert. Telle une héroïne de film d’horreur, je m’enfonce néanmoins dans les profondeurs de la surgery. Mon courage est bientôt récompensé : j’aperçois des escaliers. Et en plus, ils descendent.
Comme personne ne semble m’attendre, je dédaigne les nombreux panneaux m’interdisant de faire autre chose qu’attendre sans broncher, et toque nettement à la porte de ce que j’espère être la salle de consultation n°3.
– Entrez ! lâche une voix sèche
– Bonjour, Docteur Raciste.
– Bonjour, Eva in London. Vous êtes en retard.

Je hausse un sourcil, prête à monter au créneau pour défendre mon honneur de patiente disciplinée, puis me ravise en me rappelant que je viens dans un esprit de conciliation. Et puis, si je veux que la NHS me paie des examens inconnus au bataillon de la santé publique anglaise, j’ai intérêt à ne pas faire d’esclandre – en tout cas, pas tout de suite.

– C’est pour quoi ? m’interroge Dr Raciste d’une voix lasse.
– Eh bien, je suis française, et je vais me marier (froncement de sourcil de Dr Raciste). Dans mon pays, on a besoin que le médecin vérifie si on est immunisé contre la toxoplasmose et la…

Dr Raciste m’interrompt sans égards.
– Non, écoutez, on ne fait jamais ça, la toxoplasmose.

S’ensuit un débat sur le bien-fondé ou non des examens pratiqués par les médecins français. Je m’échine à démontrer à Dr Raciste qu’utile ou pas, j’ai absolument besoin de ces tests. Devant son refus d’écouter tout argument rationnel, comme « Si on le fait en France, c’est bien que c’est utile ! », le ton monte.

– Et je fais comment, alors ?
– Je ne sais pas, vous vous débrouillez. La NHS ne fait pas de test contre la toxoplasmose.
– Ben, et pour les femmes enceintes, comment elles se débrouillent ?

Dr Raciste hausse les épaules :
– Ecoutez, vous voulez que je vous dise ? C’est vraiment une invention de Français, ça, la toxoplasmose. Ca touche tellement peu de monde que ça ne vaut vraiment pas le coup de dépenser l’argent public pour ça. Donc, pour votre test, vous irez voir ailleurs.
– Et la rubéole ?

Dr Raciste lève les yeux au ciel. Serait-elle en train de consulter discrètement l’horloge au-dessus de son bureau ?

– Ah non, on ne traite qu’un problème à la fois, ici (parce que tu as l’impression de l’avoir traité, là, mon problème ?). Pour deux questions, il faut prendre deux rendez-vous d’affilée, sinon on ne tient plus du tout nos horaires (ah, y avait des horaires ?). Je ne peux pas me permettre de passer plus de dix minutes avec chaque patient, et là, ça fait déjà presque quinze minutes que vous êtes là. En plus, vous étiez en retard.

Je me retiens de réagir à cette nouvelle provocation pour me concentrer sur l’essentiel : trouver un moyen de me marier avec Prince malgré les obstacles que la NHS mettra sur notre chemin.

– Mais c’est la MEME question ! J’ai besoin d’un test de rubéole ET d’un test de toxoplasmose. Sinon, je ne peux pas me marier !

Au bout de sept minutes de plaidoyer enflammé, Dr Raciste cède et me tend une ordonnance. Conformément à ses principes, elle n’a « traité » qu’un seul de mes problèmes : je n’ai droit qu’à un test contre la rubéole.
En revanche, elle a eu tout le temps de pianoter furieusement sur son ordinateur. De mon dossier, je ne distingue que deux mots :
« Typical French ».

Décidément, je crois que la NHS et moi, on n’est pas près de se rabibocher.

PS : merci Camille pour cette nouvelle illustration !

Nom : Eva in London. Age : 26 ans. Signes particuliers : « Typical French » (1/2)

Il fait froid. Et sombre. Seul un pâle rayon de soleil hivernal perce à travers les vitres poussiéreuses de la salle d’attente du cabinet médical (surgery) où j’ai échoué dans le seul but d’obtenir les examens nécessaires à la constitution de mon certificat médical prénuptial, pièce apparemment indispensable à la République Française pour m’autoriser à me marier.

Dans cette phrase aussi longue que mon attente, le maître mot est échouer. Tout, ici, sent la morosité ; OK, un passage chez le médecin génère rarement autant d’enthousiasme qu’une sortie au spa ou au pub, mais même les réceptionnistes ont l’air d’avoir besoin d’une bonne dose d’antidépresseurs. A mon arrivée, c’est tout juste si j’ai droit à un hochement de tête m’enjoignant à patienter sans poser de questions. Au bout de vingt minutes d’attente sans signe de vie du médecin (GP) ni information de la chaleureuse réceptionniste, je commence à me demander où j’ai atterri. Mes deux compagnons d’infortune semblent, eux, prendre leur mal en patience, se contentant de m’éternuer dessus à intervalles réguliers (ma bête noire). Si ça continue, je vais repartir sans le sésame qui me rendra bonne à marier (un test d’immunisation contre la toxoplasmose et contre la rubéole), mais avec un rhume carabiné.

Il faut dire que si seulement j’avais été un peu plus « génération Y « , j’aurais sans doute flairé l’embrouille en parcourant les commentaires des patients sur le site de la NHS :

Ce que vous avez aimé dans cette surgery :

La plupart des réponses tiennent en une ligne. Morceaux choisis (tous réels) :

Je ne sais pas trop : so British ! Une réponse qui constitue en Angleterre l’équivalent d’une volée de bois vert dans nos contrées françaises de râleurs invétérés

Rien : pas British du tout, mais tellement plus honnête

C’est propre : ben… je ne voudrais pas faire ma mauvaise tête, mais à en juger par la couche de poussière sur la table basse à côté de moi, rien n’est moins sûr. Mais après tout, qui aurait l’idée saugrenue d’exiger de son cabinet médical un minimum d’hygiène ?

Ce qui pourrait être amélioré (on notera ici aussi la formulation so British) :

Là, les désenchantés s’épanchent. Morceaux choisis (toujours véridiques) :

Les réceptionnistes ont tout fait pour me dissuader de m’inscrire : je ne peux m’empêcher de me demander si, en remettant les âmes égarées dans le droit chemin (loin de cette surgery), elles ne seraient pas tout bonnement poussées par un sens aigu du service public.

Le téléphone sonne dans le vide – où sont les réceptionnistes ? Parties avaler leur dose de Prozac ?

Les urgences de l’hôpital voisin m’ont demandé de voir un médecin le plus rapidement possible, et la réceptionniste m’a proposé sans ciller un RDV 10 jours plus tard : Décidément, les réceptionnistes ont la cote auprès des patients.

Le médecin a refusé de me prescrire mon traitement : il y a une justice – les médecins aussi en prennent pour leur grade.

On peut toujours faire preuve de plus de patience, mais je sais qu’au fond le personnel fait de son mieux : ah ! Enfin un vrai Anglais qui n’ose pas attaquer frontalement, même sur Internet.

Tout : sans commentaire.

Des commentaires plutôt instructifs, donc. Mais voilà, à 11h40, en ce jeudi de novembre, je n’ai qu’une vague idée du gouffre d’inefficacité dans lequel je suis tombée. J’ai pourtant déjà une dent contre la NHS, mais que voulez-vous, dans une optique judéo-chrétienne d’auto-amélioration permanente, je lutte contre ma tendance naturelle à la vindicte. Je compte bien donner une nouvelle chance au système de santé britannique.

Je suis loin de me douter que la NHS, elle, prépare sa revanche.

9 pièces à fournir… ou autant de prétextes pour ne pas se marier ?

Le dossier de mariage, c’est bon – merci, Papa.
Là où ça se corse, c’est lorsqu’on l’ouvre…

Un extrait d’acte de naissance daté de moins de trois mois à la date du mariage : jusque là, pas de souci. Le super site Internet de ma mairie promet même de me faire parvenir le nombre d’exemplaires de mon choix sous cinq jours. En Hongrie, ça l’air plus compliqué. « On a un seul acte de naissance pour toute la vie », m’explique Prince, le front tout plissé. « Il est absolument crucial de ne pas le perdre. Tu me jures qu’on me le rendra après ? ». « Bien sûr, choupinet », réponds-je, un brin désinvolte.
Prince ne reverra jamais son seul et unique acte de naissance.

Une pièce d’identité en cours de validité à présenter aux fonctionnaires établissant le dossier : « Vous avez ça, en Hongrie, un passeport ? ». Prince saisit au vol cette nouvelle opportunité de passe d’armes franco-hongroise : « Ce n’est pas ce qu’ont l’air de penser les douaniers français, puisqu’ils mettent des plombes à l’examiner à chaque fois… c’est marrant, les Anglais n’ont aucun problème avec, eux ! »
Je dois bien reconnaître que, depuis que le passeport hongrois a adopté la même couleur marron que le passeport français, le temps d’examen du passeport de Prince est passé de 85 à 8 secondes… sans qu’un lien de cause à effet puisse évidemment être établi.

Un certificat de contrat de mariage émanant du notaire, si vous avez opté pour cette formule : ah non, là on n’opte pour aucune formule, nada, pas besoin de couper les cheveux en quatre, ni la Porsche de Prince en deux (malheureusement, trois ans après, toujours aucune trace de la Porsche, ni même d’une fortune grandissante planquée sous l’oreiller)

Un certificat médical prénuptial datant de moins de deux mois à la remise du dossier. C’est votre médecin qui procédera à cet examen clinique en vous envoyant faire une prise de sang pour déterminer votre groupe sanguin, ainsi que des tests pour déterminer si vous étes immunisée contre la rubéole et la toxoplasmose en cas de grossesse. Votre conjoint devra lui aussi faire une prise de sang pour déterminer son groupe sanguin et son rhésus, afin de connaitre les éventuelles incompatibilités avec vous en cas de grossesse. Enfin, il vous proposera aussi un test de dépistage du sida non obligatoire : je sens que la NHS va sauter de joie à l’idée de déterminer gratuitement mon groupe sanguin et mon éventuelle immunisation contre la rubéole. Je suis sûre qu’elle me proposera même un test de dépistage du sida.
Je ne m’étais pas trompée : les choses se sont tellement envenimées chez le GP (médecin) qu’il m’en a coûté une centaine de livres et un « Typical French » inscrit noir sur blanc dans mon dossier médical. L’épisode valant à lui seul un billet, je ne manquerai pas de vous faire part de ce grand moment de service public.
A propos, le certificat prénuptial a été supprimé juste après notre mariage, les 14 millions d’économies ayant été jugés bons à prendre pour combler les milliards de « trou » de la Sécu.

La liste des témoins de mariage, accompagnée d’une fiche d’état civil ou d’une photocopie de leur pièce d’identité : « Ah, c’est vrai, il faut un témoin, j’avais oublié ! ». Nul besoin de le préciser, le commentaire n’est pas de moi.

Si vous avez des enfants à légitimer… « Prince, un enfant à légitimer ? Non ? Parfait, c’est toujours ça de moins à faire. »

Si l’un des mariés est mineur, vous devrez fournir le consentement de vos parents dressé par un notaire ou par l’officier d’état civil. Il vous sera également demandé une dispense qui est accordée par le procureur de la République. « Mineure ou pas, tu aurais peut-être dû demander ma main à Papa, finalement ? Imagine qu’il refuse de nous marier au dernier moment, on aura l’air fins… »

Les personnes de nationalité étrangère auront à fournir un extrait d’acte de naissance rédigé dans la langue originale, ainsi que sa traduction agréée par le Consulat, l’Ambassade, ou par un traducteur reconnu des instances officielles. Il leur sera également demandé un certificat de célibat, les deux certificats devant être visés par la délégation diplomatique : délégation diplmatique, Consulat, Ambassade, késaco ?! Tout ce que j’en comprends, c’est que le brassage interculturel, c’est très bien, mais épouser un Français de souche, c’est mieux – en tout cas, c’est plus simple.

Une attestation sur l’honneur de domicile, de célibat, ou de séparation : Au point où j’en suis, je suis prête à déclarer ce qu’on veut, domicile, célibat, séparation, folie passagère, du moment que la République Française m’autorise à épouser mon Prince.

Pourquoi les femmes ne devraient jamais tomber malades

Chez les Anglais, chochotte est un terme proprement masculin ;  ici, on se plaît à rappeler que lorsqu’une femme a un rhume, c’est bien un simple rhume (cold), alors que lorsque c’est le mâle qui est atteint, le rhume mute en véritable grippe… très masculine (man flu). Prononciation correcte de man flu : teintée d’ironie toute britannique, laissant penser que les hommes, décidément, n’aiment rien tant que se faire materner, chouchouter et bichonner lorsqu’ils sont malades. Les soins seront de préférence prodigués par une infirmière souriante, blonde et en blouse blanche (la pudeur m’empêchant de développer cette description), mais à défaut, une épouse d’ordinaire acariâtre, brune et en jogging fera l’affaire à la condition expresse qu’elle prenne la maladie de l’homme très au sérieux.

Et c’est ainsi que perdure la paix des ménages durant les rhumes des hommes. Cette grave maladie constitue somme toute une épreuve parmi d’autres dans le parcours du combattant de la vie conjugale : certains couples en ressortent fragilisés (un gémissement de trop, et le couperet tombe : « Tu as un rhume, tu n’es pas en train de vivre tes dernières heures ! Maintenant ça suffit, tu te lèves et tu m’aides à préparer le dîner ! »), d’autres renforcés (« Que tu as été courageux, mon chéri. Tu m’as l’air en bien meilleure forme. Pour fêter ta guérison presque complète, et si on se mijotait un petit repas aux chandelles ? »)

Tout est une question de diplomatie.

Ami(e) lecteur / lectrice, tu ne seras pas surpris(e) d’apprendre que la diplomatie n’est pas mon fort. En revanche, être malade, si. La chochotte du couple, c’est moi, moi, et moi.

Illustration cette semaine :

–          Lundi : dans le bus qui me mène chez SuperConseil, comme à l’habitude, je m’emmitoufle dans mon écharpe à la moindre toux suspecte (elles le sont toutes), au moindre éternuement (on ne t’a jamais appris à mettre la main devant la bouche, ou tu veux vraiment partager tes microbes avec tous le bus, parce que je crois qu’il y en a, au fond, sur qui tu n’as pas postillonné), à la moindre figure fiévreuse. Ce n’est pas de ma faute : telle une malédiction, une phobie de la saleté et des microbes se transmet de mère en fille dans ma famille depuis trois générations.

–          Mardi : étant parmi les dernières arrivées au bureau, je constate avec surprise qu’il reste une place au milieu de six bureaux occupés par des collègues tous plus sympathiques et bienveillants les uns que les autres. Cinq minutes me suffisent à comprendre : deux d’entre eux éternuent et se mouchent à qui mieux mieux. C’était bien la peine de changer trois fois de place dans le bus ce matin. Et quelque chose me dit que je risque de passer pour une antisociale finie si je traite mes collègues malades en pestiférés et change de place ici aussi. Déjà qu’on me reproche régulièrement de ne pas aller assez souvent au pub…

–          Mercredi : d’abord, des frissons. Puis mal à la gorge. Enfin, un lancinant mal de crâne. Pas de doute : malgré mes efforts, j’ai été contaminée. Je suis malade. Ma première pensée : « Je peux me faire plaindre ! ». Je passe l’après-midi à soupirer, tousser, me prendre la tête entre les mains. Rien n’y fait : personne ne semble rien remarquer. On dirait presque qu’ils ont mieux à faire que de se préoccuper de mon état de santé (travailler ?).

Aux grands maux, les grands remèdes. Je lance à la cantonade :

– Quelqu’un aurait une aspirine ? Je ne me sens pas bien du tout, j’ai mal à…

Sans attendre la fin de mon monologue, une  collègue (une seule !) daigne relever la tête, farfouille dans son tiroir et me tend des cachets sans un mot. C’est tout ? Pas de « Oh, poor you » cher aux Anglais ? Pas de commisération ? C’est sûr, je trouverai une oreille plus clémente auprès de Prince. Je lui envoie aussitôt un mail suintant l’auto-apitoiement. La réponse ne se fait pas attendre. Elle tient en une ligne : « Prends une aspirine ». Super.

–          Mercredi soir : initialement décidée à réserver un accueil plutôt froid à Prince, je change d’avis en repensant aux nombreux échecs passés consécutifs à cette stratégie. Je choisis donc la lamentation, avec tenue assortie : pyjama, chaussettes de randonnée extra-chaudes, et trois pulls dont deux à capuche. Hélas ! Mon cher et tendre n’apparaît particulièrement désireux de jouer les infirmières. Au quatrième verre d’eau demandé (pas exigé, hein, demandé ; ce n’est pas parce que je suis malade que j’en oublie les bonnes manières), il se met à soupirer. Nouveau soupir quand je lui indique ma température pour la douzième fois en trois heures (oui, je prends ma température tous les quarts d’heure, on n’est jamais trop prudent). Il me réconforte quand même lorsque je fonds en larmes à la vision d’un 38,5°. C’est sûr, c’est le début de la fin (je vous l’avais bien dit, que j’étais une chochotte.)

–          Jeudi : je ne vais évidemment pas au bureau,  (même pas besoin de congé maladie chez SuperConseil). Prince n’a pas pris sa journée pour rester avec à mon chevet, mais il répond sans faille aux nouvelles que je lui envoie régulièrement (température, état général, moral). Je fulmine contre le cabinet de GP (general practitioners, c’est-à-dire généralistes) qui m’indique que si je veux faire deux heures de queue pour m’entendre dire que « ça ira mieux avec une bonne cup of tea et du repos, pas besoin d’antibiotiques, Mademoiselle », libre à moi. Je me défoule avec six épisodes de suite de Grey’s Anatomy. Les beaux chirurgiens du Seattle Grace Hospital hier soir s’avérent bien plus réconfortants qu’un GP réel mais désobligeant.

Lorsque Prince rentre à la maison, il me trouve au lit, le regard vague  après quatre heures de télé et portant les mêmes vêtements que la veille,. S’il frémit, il n’en montre rien. Il va même jusqu’à m’embrasser… sur la joue. N’empêche, je suis déconcertée : le rôle de garde-malade n’a pas l’air de séduire Prince. On dirait même que c’est une corvée. Je ne suis pas dupe : je le vois bien à son regard, quand je gémis « Je ne me sens pas bien pour la huitième fois en deux heures (presque aussi souvent que je prends ma température, en somme).

–          Vendredi : je reste à la maison, j’ai encore un peu de fièvre. Enfin, j’avais 37,5° hier soir. Ca compte, non ? De toute façon, le plus important, c’est la santé. Je ne vais quand même pas être malade le WE, non plus ?

Voici enfin venu le vendredi soir, et avec lui, la fin de ma maladie. Je reprends peu à peu forme humaine, délaisse mes deux pulls devenus superflus, et enfile une paire de chaussettes normales. Et si je me réjouis de cette guérison quasi-miraculeuse, ma jubilation n’est rien à côté de celle de Prince. Il m’avoue alors la vérité : non, ma tenue de malade n’est pas sexy. Non, mon ton geignard et mon auto-apitoiement non plus. Non, s’occuper d’une loque à peine visible derrière deux capuches n’est ni viril, ni gratifiant.

Etrange, étrange. Moi, j’adore m’occuper de Prince lorsqu’il est malade. Le problème, c’est qu’il ne l’est jamais.

Congé maladie à l’anglaise

Ce mariage me stresse plus qu’autre chose.

Comme je souffre d’un cruel manque d’expérience dans la préparation de mariage, je n’ai pas la moindre idée de la manière dont je suis censée m’y prendre. Et la pression, elle, ne se fait pas attendre : non seulement le mariage apparaît comme un excellent prétexte pour claquer en quelques heures plusieurs mois de salaire (coût moyen d’un mariage selon l’INSEE : 11 800 €), mais le rapport qualité / prix de ces fugaces moments doit aussi être au rendez-vous. Selon les magazines / prestataires / salons du jour J et autres industriels de l’engagement, gare à vous, future mariée, si cette journée n’est pas au moins « le plus beau jour de votre vie ». Vous en serez tenue personnellement responsable.

Au bout de quinze jours d’intenses rongements d’ongles sur fond de culpabilité (tant d’inaction, un phénomène rare et mal vécu par Eva in London), je me lance dans un exercice apparemment simple : la liste d’invités. Ben oui, si je n’arrive même pas à plancher sur une simple liste – le B.A-BA, me susurrent Jolie Mariée et Un mariage réussi – l’affaire est sans doute bien mal engagée. Ce qui se confirme quand, après trois brouillons, je soumets fièrement à mes parents une tentative présentable :

– Et Prince, il compte venir, à ce mariage ? Parce qu’il n’invite pas beaucoup de monde, commence par remarquer mon père d’un ton égal.

De fait, avec 45 personnes de mon côté, une petite quinzaine du côté de Prince, c’est déséquilibré pour le moins. Heureusement (?), ma mère ne me laisse guère le temps de répondre :

– Tu as oublié ta marraine, relève-t-elle, légèrement surprise. Et pour cause : c’est elle qui l’a choisie.

– Et ton parrain, s’empresse d’ajouter mon père, dont l’agacement devient perceptible. Et pour cause : c’est lui qui l’a choisi.

Me revoici donc au point de départ, avec pour seuls moyens les sentencieuses injonctions de Jolie Mariée et mon courage… soit un équipement largement insuffisant. Pour la première fois depuis mon arrivée en Angleterre, j’envisage très sérieusement de recourir à l’arme fatale des British : to call in sick, se faire porter pâle.

Car ici, rien de plus simple que de sécher le boulot. Et comme la glande constitue l’un de mes sujets de prédilection, je me suis immédiatement intéressée à cet étrange phénomène : certains jours – et plus particulièrement les lendemains de sortie au pub, donc le vendredi, mais le lundi, mardi, mercredi et jeudi ça marche aussi – certains de mes collègues n’apparaissent tout simplement pas au boulot.
D’après les guidelines des ressources humaines, tout SuperConsultant malade doit appeler son supérieur hiérarchique avant 10h. Pour pouvoir faire une grasse mat’ avant de s’offrir le fameux English breakfast dont les vertus sur la gueule de bois ne sont plus à démontrer ? Ou pour être sûr que le dit supérieur hiérarchique soit arrivé au travail, car lui aussi, selon toute probabilité, a trouvé le réveil difficile après une soirée agitée ? Certains parent à cette question en envoyant un email laconique en rentrant du pub ; une technique qui ne semble fonctionner qu’auprès de chefs singulièrement accommodants.

Quoiqu’il en soit, je suis quelque peu effarée, tant devant la fréquence des « congés maladie » de mes collègues que devant le mystère qui les entoure :

– Qu’est-ce qu’il a, James / Mark / Alessandro / Meindert ? demandé-je au début, pleine de sollicitation envers mes pauvres collaborateurs.

– Oh, je ne sais pas… un rhume / une migraine / mal au ventre / pas envie de bosser aujourd’hui, je crois, me répond-on invariablement en haussant les épaules.

Mais le plus déconcertant, pour moi, c’est qu’il ne s’agit pas d’une coutume propre à SuperConseil. Lorsque je confie mon étonnement à mon amie Claire, londonienne comme moi, elle s’esclaffe :

– Congé maladie, congé maladie, mais c’est un truc de Français, ça ! Ici, si les Anglais attendaient un RDV chez le médecin (apparemment, cela peut prendre longtemps, très longtemps…) pour leur signer leur arrêt de travail, ils ne s’en sortiraient pas. Et puis, arrêt de travail ou pas, qu’ils aient la gueule de bois / une grippe / une gastro-entérite / une angine, le médecin leur répond immanquablement « Have a cup of tea et reposez-vous, ça ira mieux d’ici deux ou trois jours ! ». Du coup, c’est ce qu’ils font :  ils se passent de visite médicale et restent tranquillement au lit en attendant des jours meilleurs, d’autant plus sereins qu’ils savent que c’est précisément le conseil que le médecin leur aurait donné ! On dira ce qu’on voudra, mais leur système a le mérite d’être cohérent.

Voilà qui donne matière à réflexion.

– Mais attends, il y a des abus, quand même ? Et le contrôle de la Sécu pour vérifier que tu es bien au fond de ton lit à gémir, et pas en train de faire les boutiques ?

Claire ne relève pas ce vestige de réflexe français (« Et le bon vieux contrôle de l’Etat, dans tout ça ? ») et répond, gênée :

– En même temps, difficile de le leur reprocher : dans ma boîte (Claire travaille chez un concurrent indirect de SuperConseil), on nous donne d’office huit jours de sick leave (congé maladie ?) à utiliser sur l’année… alors, si tu as une santé de fer, autant en profiter !

– Et si tu es vraiment malade et que les huit jours n’y suffisent pas ?

– Ben… tant pis pour toi.

Enfin, comme chez SuperConseil et dans bien d’autres entreprises britanniques, le nombre de jours autorisés semble être directement lié à la crédulité patience du supérieur hiérarchique, le congé maladie à l’anglaise a encore de beaux jours devant lui… et moi, une occasion inespérée de retravailler ma liste d’invités pour éviter de nouveaux incidents diplomatiques.


National Health Service

Demain est un grand jour pour Prince : à 7h30 (oui oui)  il fait sa rentrée à la grande école, pardon, à la grande banque où, s’il ne redouble pas, il deviendra lui aussi un grand golden boy. Tel un enfant à la veille de la rentrée des classes, Prince réfléchit donc depuis 45 minutes à la manière dont il va s’habiller. Mais, là où un adolescent de quinze ans vise la coolitude, Prince s’est, lui, résigné : il a depuis longtemps compris qu’il ne ferait jamais illusion en la matière. En revanche, comme il paraît environ cinq ans de moins que son âge, il cherche désespérément un costume qui lui donne au moins l’air un peu sérieux. 

Malheureusement, je ne lui en laisse pas l’occasion, et interromps ses réflexions avec un strident hurlement de douleur. Prince se précipite dans la cuisine / salon, où il me trouve recroquevillée par terre, la tête entre les mains.

–       Ca va (il paraît à peu près évident que non) ? Qu’est-ce qui s’est passé ? demande-t-il, angoissé.
–       Mmmmhhhh gueeee… cogné… tête… grommelé-je, en désignant le coupable :

un placard resté ouvert pendant que je vidais (distraitement, il faut bien le dire) le lave-vaisselle flambant neuf. 

Aïe. Le sketch du trauma crânien, Prince connaît déjà bien. Trop bien. Je n’ai, en effet, jamais perdu cette bonne habitude, prise toute petite, de faire un petit séjour aux urgences une ou deux fois par an suite à divers chocs à la tête. Very best of :

–       A trois ans, je dévale les 37 marches de l’escalier de ma grand-mère la tête la première. Bilan des courses : douze heures en observation.

–       A cinq ans, je saute joyeusement sur le lit de mes parents pour atterrir sur une moquette pas suffisamment moelleuse pour amortir le choc. Petite joueuse : trois heures aux urgences seulement

–       A douze ans, je décide de passer aux choses sérieuses. Une bagarre éclate dans un couloir du collège, alors nous sommes tous sagement alignés le long du mur. S’ensuit un petit jeu de dominos… pas de bol, c’est moi qui étais le plus près du mur. Résultat : 48 heures à l’hôpital, mais un garçon super mignon dans le lit d’à côté. Malheureusement, il sort avant que je ne sois en état d’articuler une phrase intelligible.

En trois ans de relation, Prince a déjà eu par deux fois l’occasion d’assister à l’immuable sketch : maladresse et manque d’inattention – choc violent – ambulance – urgences. Mais on ne l’avait pas encore testé sur le public anglais.

Celui-ci va se révéler complètement insensible. 

Comme nous n’avons pas de voiture, Prince, pris de panique, m’emmène à l’hôpital au coin de la rue, qui nous refuse sous un prétexte fallacieux (« nous sommes un hôpital psychiatrique »). Nous tentons ensuite le deuxième hôpital le plus proche : encore raté, c’est le Western Eye Hospital. Il est vrai que le nom aurait dû nous mettre la puce à l’oreille.

En désespoir de cause, nous échouons à 23 heures dans un vrai hôpital, avec un vrai service des urgences pas que pour les fous et les aveugles.

 

 –       Remplissez cette fiche, nous lance sèchement la secrétaire. Vous serez reçus par ordre d’urgence (d’importance ?). 

Trente minutes s’écoulent, pendant lesquelles trois patients sont examinés. Puis une heure – deux personnes de plus nous passent devant, mais c’est de bonne guerre : je ne peux pas lutter contre une jambe cassée et un coma éthylique. Au bout d’une heure et demie, Prince lutte contre le sommeil à côté de moi. En même temps, il ferait mieux d’en profiter, étant donné qu’il se lève dans moins de six heures.

Je prends mon courage à deux mains et demande à la secrétaire peu amène combien de temps nous allons encore devoir attendre.

 –      You are the next patient (c’est pas trop tôt)… sauf si un cas plus urgent se présente (soupir), me répond-elle sans lever les yeux. Nous décidons de patienter encore un peu. Prince s’est endormi sur son siège.

Rhume, entorse, mal de tête : on dirait que tout est plus urgent qu’un trauma crânien, dans ce pays. A deux heures du matin, Prince me ramène à la maison : de toute façon, je me sentais mieux.

En revanche, celui qui ne va pas être très en forme demain, c’est Golden Boy.