Le doux pays de mon enfance

J’ai longtemps cru Londres semblable à Paris. Lorsque nous avions des amis de passage, je grommelais volontiers, d’un ton désinvolte : « On n’est pas trop dépaysés, quand même ».

Etonnamment, c’est au bout d’une décennie (ou presque) d’expatriation que le sentiment d’étrangeté se fait de plus en plus nettement sentir.
Surtout lors de mes retours à Paris.

A ma descente de l’Eurostar, que je connais désormais comme ma poche (éviter la voiture 16, toujours pleine, lui préférer la 17, voire la 18, soi-disant réservée aux familles mais en réalité souvent vide), me frappent une multitude de détails, comme un tableau impressionniste dont je ne saurais dire s’il est beau ou laid.

Il fait froid. Pas le froid londonien un peu mou, l’éternel 11 degrés automne comme hiver, non, un vrai froid, celui qui nécessite des gants, un bonnet, voire une cagoule pour les enfants, accessoire inconnu des petits Britanniques.

Cagoule

Hein que ça a l’air confortable !

Ou alors, il fait chaud. Vraiment chaud. Pas la chaleur londonienne un peu hésitante, l’éternel 17 degrés printemps comme été, non, une vraie chaleur, qui nécessite une petite jupe, des sandales ouvertes, voire une robe d’été, vêtement bien connu des petites Britanniques, qui en portent sans paraître souffrir des 17 degrés.

Un père accueille son fils d’une affectueuse bourrade et d’un tonitruant « How are you, fiston ? ». J’ai mal à mon pays dont les enfants – moi la première – quittent le navire à la recherche d’un boulot, d’une ville plus dynamique – combien de fois ai-je entendu « Bien sûr, j’adore la France, mais je ne me vois pas du tout rentrer », d’un ailleurs anglo-saxon ô combien accessible et tellement branché.

J’évite les taxis (chat échaudé craint l’eau froid) et me dirige vers le métro, avec l’impression de sillonner entre les mendiants et les SDF. Les gens se bousculent sans dire pardon. Je rentre enfin dans le métro – sale, malodorant et bondé – et un jeune homme blond, plutôt mignon, bien sous tous rapports, me regarde. Je suis si déshabituée de ces regards que je me demande si mon sac / mon chemisier / mon pantalon est ouvert. Non. Pour une raison qui m’échappe, il cède la place à un autre jeune homme au look très « banlieue ». Amateurs de clichés, vous allez être servis. A peine assis, l’intéressé dégaine son téléphone et marmonne « Ouais, frère, j’ai pas répondu au téléphone, j’étais en garde à vue. Ouais, depuis jeudi, la police elle m’a arrêté. Pourquoi ? Ben, parce que j’ai frappé un mec ».

(sic)

Tout en faisant semblant de ne rien entendre, je m’éloigne un peu – réflexe de survie ? – me rapprochant imperceptiblement du jeune homme qui doit être en train de se féliciter d’avoir proposé sa place à notre voyou de voisin.

Arrêt suivant. Les portes s’ouvrent, et un homme crache dans l’intervalle entre la rame et le quai, comme s’il n’y avait rien de plus naturel. Mon dégoût ne semble rencontrer que l’indifférence du reste du wagon.
Et puis.

Sur le quai, j’aperçois des affiches pour des pièces de théatre ultra-pointues, des expositions, du vaudeville. Des films avec des stars dont je connais encore les noms, et d’autres qui ne m’évoquent rien, puisqu’elles ont dû accéder à la célébrité au cours des dix dernières années. Des publicités pour Décathlon, Picard et Monoprix.

ouvrez-vos-yeux-sur-qqchose-de-beau

Je sors du métro et arpente les rues, dévorant du regard bistrots pleins malgré la peur des attentats, les pharmacies où l’on peut se gorger de médicaments qui n’existent même pas en Angleterre, les petites boutiques indépendantes.

Je me noie dans les beaux yeux du boulanger passionné qui me présente avec fougue « son » pain aux noix, « son » pain au kamut et « sa » brioche aux pralines. Je finis par tout lui acheter, et il m’offre un pain au cacao cru et baies roses pour me remercier.

Les gens ont l’air français. C’est peut-être les chaussures bateau, les petits foulards au cou des femmes, une certaine suffisance, que sais-je.
Je suis chez moi.

Impertinente chronique d’une expatriée en vacances

Gloups.

Croyez-le ou non, chers lecteurs, cela fera cette année neuf ans que j’ai quitté la France (NEUF ans ! « Oh là là ! » comme se plaisent à dire les Anglais chics)
Je fais partie de ces expatriés qui s’obstinent à dire qu’ils « rentrent » en France pour les vacances (plutôt que d’y « aller », indice d’une parfaite intégration) et à se défendent ardemment de toute anglophilie. Partis, mais pas complètement quand même.

Comme moi. Indécrottable chauvine j’étais, indécrottable chauvine je resterai.

Et pourtant.

A chaque séjour en France, j’ai un peu plus de mal à retrouver mes marques. Je suis bien « chez moi », et pourtant, c’est comme si la maison avait été un peu dérangée, et les meubles déplacés, en mon absence.  Comme si les choses ne correspondaient plus à l’idée que je m’en faisais. Une sensation qui me laisse troublée, contrariée et désolée à la fois.

Tout simplement suis-je sans doute partie depuis trop longtemps. Il y a des signes qui ne trompent pas. En effet, en vacances, l’expatrié parti-mais-pas-complètement-quand-même…

1.    Ronchonne de trouver les commerces fermés à 20h et le dimanche… mais s’extasie de pouvoir encore s’approvisionner auprès du boucher, du poissonnier et du maraîcher

2.    S’attable avec plaisir à la crêperie la plus populaire du coin… pour se faire accueillir d’un sec et sans appel «va falloir déplacer votre poussette Madame, et j’vous préviens, y’a 20 minutes d’attente, on a trop de monde ». Qu’à cela ne tienne, il quitte les lieux, histoire de faire de la place

Glace a la fraise pour enfants

On se console comme on peut

3.    Se réjouit de voir sa progéniture retrouver un français correct, voire idiomatique… avant de remarquer l’apparition rapide et non moins pernicieuse d’expressions telles que « ça va être compliqué », « bon courage » et autres « le problème, c’est que… ». De son côté, habitué à la familiarité anglo-saxonne, il réserve un bon bistrot au nom de « Patrick » (son prénom) pour s’y faire accueillir d’un sonore « Bonsoir, Monsieur Patrick ! »

4.    S’extasie devant les appétissants produits sur les étals du marché… avant de se faire admonester par le vendeur qui « ne prend pas la carte bleue Madame, mais il y a un distributeur à 10 minutes à pied en sortant du marché si vous voulez »

5.    S’indigne devant les chaotiques pseudo-queues qui poussent au vice, ou tout au moins à doubler furtivement ses voisins… et les imite illico sans vergogne

6.    Va quand même au supermarché pour se ravitailler en pinard, beurre demi-sel et autres saucissons, avant de se faire morigéner à la caisse car il a oublié de peser les fruits et légumes (finalement, c’est quand même plus simple de les acheter au supermarché, d’ailleurs le maraîcher était fermé entre midi et deux). Il tente de faire amende honorable en expliquant à la caissière et aux gens qui s’impatientent derrière lui que là où il habite, la pesée s’effectue en caisse. Avant de se raviser, sous les regards courroucés, et d’abandonner là ses fruits et légumes. De toute manière, avec tout ça, le maraîcher va bientôt rouvrir.

7.    S’agace à son tour lorsque « l’hôtesse de caisse » (apparemment c’est comme ça que ça se dit maintenant, il a eu tout le loisir d’examiner le badge) lui indique que « non, Monsieur, l’enseigne ne distribue plus de sacs plastiques depuis plusieurs années maintenant ». Il règle et s’éloigne en maugréant, les bras chargés de vin, de beurre et de saucisson.

8.    Optimiste comme un Anglais, il se félicite de n’avoir fait tomber que le saucisson, et pas la bouteille de pinard.

9.    Tout d’abord décontenancé de voir sa famille / ses amis passer l’essentiel de la journée à préparer les repas, et l’essentiel des repas à évoquer avec délices ce qu’on pourrait cuisiner au repas suivant, il prend vite le pli et enjoint à sa mère de lui mitonner le bœuf bourguignon / la blanquette de veau / le pot-au-feu de son enfance. Il fait 34 degrés à l’ombre ? Aucune importance, les souvenirs n’attendent pas.

10.    Béat d’admiration devant les majestueux paysages de montagne / splendides côtes bretonnes / paisibles clairières où s’ébattent ses enfants, il se prend à rêver du retour en France… avant que la réalité – sa maison, son travail qui l’attend, ses amis comme lui expatrié-partis-mais-pas-complètement qu’il a d’ailleurs retrouvés pour un dîner à l’île de Ré – ne se rappelle à lui. Le retour en France, ce sera pour un peu plus tard…

Vacances au soleil...

En chantant (une déclaration d’amour à l’Angleterre… ou presque)

En ce mois de janvier gris, pluvieux et glacial, je vous propose de plonger avec délice dans le cliché et l’envolée lyrique.

Commençons par l’envolée lyrique : j’aime la France. J’aime ce pays qui n’est pas plat. J’aime le pays de la montagne, de Vesoul et Paris qui s’éveille.  Mais après des années de sournoises et pernicieuses critiques sur l’Angleterre, force m’est de constater que mon pays d’accueil m’a – bien malgré moi – conquise.

Passons aux clichés, et savourons.

Je ne m’énerve plus lorsque le médecin-pas-pédiatre, devant une MiniPrincesse souffrante depuis plusieurs jours, me recommande la patience plutôt que les médicaments. Pour un peu, j’applaudirais même sa mesure et son bon sens. Le soir venu, je relate posément la consultation à un Prince sidéré :  « c’est vrai ça, finalement en France on se bourre de médicaments, et puis les antibiotiques c’est pas automatique ».

Je ne hausse (presque) plus les sourcils lorsque mes collègues ouvrent bruyamment leur sachet de chips au vinaigre à 9h20.

J’ai cessé de tabasser les capots des taxis qui refusent de me céder le passage, parce qu’ici piéton engagé n’a jamais la priorité.

Dans le Tube du matin, je ne remarque (presque) plus les robes-soi-disant-élégantes-oui-même-en-motif-rideau-à-petites-fleurs-roses, décolletés plongeants ou piercings.

Je fais sagement la queue et soupire bruyamment lorsqu’un huluberlu s’avise de passer devant tout le monde, mais me garde bien de lui faire remarquer : ce serait sortir de ma réserve quasi-britannique.

Je pars du travail à 17 heures, parce que je préfère habiter loin et au vert que dans le centre-ville et la pollution.

Je vante à qui veut l’entendre les espaces verts de Londres, le congé maternité de neuf mois, le traiteur indien / thaï / polonais du quartier.

Et tant qu’à faire, j’enchaîne sur la politesse des Anglais, leur humour et leur distinction (sauf le vendredi soir, et le samedi soir, et bon d’accord chaque fois qu’il y a un peu d’alcool qui traîne).

Le signe révélateur suprême (et non ultime) : je me plains encore… mais à l’anglaise. Ainsi, des anglicismes tels que « le service n’est malheureusement pas à la hauteur de mes attentes » et « un remboursement serait grandement apprécié » se glissent dans mes lettres de réclamation en français à l’insu de mon plein gré. Légèrement perturbée, je les corrige bien vite par de plus efficaces et idiomatiques « le service est absolument catastrophique » et « je vous saurais gré de bien vouloir procéder au remboursement le plus rapidement possible ». Ajoutant pour la forme un bon vieux « je vous prie de bien vouloir agréer, Madame, Monsieur, etc, etc. ». Parce que je suis française, moi, Madame, Monsieur.

Soudain, l’angoisse m’étreint. Si tel est le cas, si je suis encore française… où sont donc passés ma mauvaise foi, ma capacité à râler en toutes circonstances et mon amour du terroir ?

Je vous rassure, ils reviennent au prochain épisode.

Et vous, qu’appréciez-vous chez « les autres », pays d’accueil, d’adoption ou destination de vacances ?

Le coming out d’une Frenchie à London (du bon usage des anglicismes)

Je l’admets : je voue une haine viscérale aux anglicismes.

Les années passant, un insaisissable et pourtant de plus en plus net sentiment se fait jour en moi : celui de perdre la maîtrise de ma langue, et par là, un fragment de mon identité même. Que l’expat’ qui n’a jamais marmonné, lors d’un retour dans son pays d’origine, « Ah, mais comment ça se dit, déjà ? Je l’ai sur le bout de la langue ! » me jette la première pierre.

Fini la nuance, à bas la finesse : de plus en plus, tout m’apparaît « sympa », « génial » ou au contraire « nul », voire « horrible ». Mon vocabulaire s’appauvrit aussi vite que le Trésor Public grec et je me surprends à trouver facilement l’expression anglaise parfaitement juste pour décrire un moment ou une émotion, sans parvenir à un équivalent français satisfaisant. Une impression, vous l’avouerez, quelque peu perturbante.

Et je ne suis pas la seule dans ce cas. Ainsi, une connaissance londonienne fêtant son anniversaire remerciant les invités « pour être là pour cette journée spéciale » ou une amie proposant de caler un dîner de filles (« je peux faire mercredi ou jeudi, vous préférez quelle date ? ») où elle nous vantera « le sac Vuitton original » qu’elle compte bientôt s’offrir… non parce qu’il est original, mais parce que c’est un « vrai » Vuitton.

Pas étonnant, dans ces conditions, que je sois assaillie de doutes chaque fois que j’utilise un mot de plus de huit lettres. L’anglais est-il définitivement pervasif ? Mes espoirs de retrouver un niveau de français correct sont-ils ruinés ?

D’aucuns me jugeront prétentieuse, ringarde, voire les deux mon capitaine. Mais n’est-il pas merveilleux que chaque langue ouvre à celui qui l’emploie tout un univers unique et intransposable ? Comment traduire vraiment (et non définitivement) « c’est ni fait ni à faire » (mesquin à souhait), « bon, bon, bon, c’est pas tout ça mais… » (classe) ou encore « moi j’vous le dis, il veut le beurre, l’argent du beurre et la crémière » (encore plus classe). C’est que le français est une langue riche, ma bonne dame. Et à l’inverse, le français peut-il rendre justice (ça se dit, rendre justice ? Argh…) à une expression on ne peut plus british comme « Chin up, old chap » ? OK, il faut vraiment que j’arrête mon marathon Dowton Abbey, mais vous voyez où je veux en venir. Sans me faire le chantre de la francophonie à tout crin, pourquoi massacrer ainsi notre belle langue par tant de négligence ?

Car il s’agit souvent de paresse pure et simple. Telle cette inimitable tirade entendue dans le métro quasiment mot pour mot :

« Et là, le switchboard m’a appelée, j’ai pris le lift pour descendre parce que je suis épuisée en ce moment, l’overground me réveille tous les matins. Ma chef m’a trop énervée en me disant que ma jupe était so last year, je lui ai répondu so what ? Elle est censée me supporter ! »

Cette dérive représente-t-elle un vrai changement par rapport à Paris où l’anglais est devenu un must pour paraître « efficient » en entreprise ? On est corporate ou on ne l’est pas, on attend que son boss (OK, celui-là est complètement passé dans la langue) revienne vers soi (ce qui pose la question : mais où donc était-il passé ?) et son feedback sera très impactant.

« On s’américanise de plus en plus… » ou la vision à la fois tendre et ironique de Sempé

Consolons-nous avec la pensée que l’anglais a lui aussi beaucoup emprunté au français (apparemment cela remonterait au règne de Guillaume le Conquérant) : ainsi, manager viendrait du français ménager et beef de bœuf. Les Rosbifs ne sont donc pas en reste : rien n’est plus chic que de répondre merci en français dans le texte lorsqu’on vous sert votre thé, s’écrier voilà lorsqu’on a parfaitement réussi sa tarte Tatin, et évoquer rêveusement le je ne sais quoi qui émane du beau jeune homme qui vous jette des regards langoureux dans le Tube du matin.

En guise de conclusion, je vous laisse sur l’anglicisme suprême (et non ultime puisque ce n’est sûrement pas le dernier que j’emploierai) : « Allez, on se retrouve au pub ! »

PS : certains anglicismes ont la bonne idée de tomber en désuétude. Ainsi, j’entends encore mon grand-père m’accueillir d’un « Mais tu es très smart aujourd’hui ! »

PPS : et vous alors, avez-vous tendance à mélanger les langues ? Au bout de combien d’années d’expatriation avez-vous commencé à chercher vos mots ? En France, avez-vous l’impression que l’anglais gagne du terrain ? Faut-il s’en offusquer ? L’anglais est-il le compétiteur un concurrent du français ? Votre avis m’intéresse beaucoup !

PPS : ma principale satisfaction concernant cet article réside non dans le fait de l’avoir enfin pondu, mais dans les 178 mots de plus huit lettres que j’ai réussi à y caser. Promis, dans le prochain article, tout sera à nouveau très beau, super ou au contraire minable.

« Ah, vous êtes française ! »

Au bout de tant d’années à Londres, je pensais m’être parfaitement fondue dans la masse. Je ne double plus subrepticement les gens dans la queue en me félicitant intérieurement d’être plus maligne qu’eux, j’ai toujours un parapluie sur moi « parce qu’on ne sait jamais il peut pleuvoir à tout instant », et il m’est même arrivé de recevoir de vrais Anglais pour le thé. D’accord, il s’agissait de voisins qui n’avaient pas eu le cœur de décliner ma huitième invitation, mais  qu’importe : je croyais sincèrement être intégrée jusqu’au bout des ongles.

C’est pourquoi, lorsque ma franchouillardise est démasquée en quelques millisecondes, cela a le don de m’agacer profondément.

Qu’est-ce qui me trahit ainsi ?

Mon foulard élégamment enroulé autour du cou ?

Mon sac Vanessa Bruno ?

Un certain je ne sais quoi (comme disent les Anglais) de chic parisien ?

Hélas, non.

Mon accent franco-français.

Il a beau être loin, le temps où Eva in London prenait soigneusement des notes sur le professional English de ses collègues Superconsultants (« Welcome to SuperConseil, how can I help ? »), immanquablement, à peine ouvré-je la bouche que mon client m’interrompt, jovial :

– Ah, you’re French!

Cette saillie peut également être suivie de « I love the French accent, it’s so cute » (mignon)  lorsqu’un(e) Anglais(e) tombe sous le charme d’un(e) Français(e), voire du plus explicite « It’s so sexy ».

Enfin, paraît-il, parce qu’en ce qui me concerne, mes interlocuteurs ont surtout tendance à me prendre pour une agence de voyages sur pattes. Et que je te demande une bonne adresse de resto à Paris, et que je te raconte mes dernières vacances dans le family cottage du Lubéron, et que je m’étrangle d’indignation devant la grossièreté des garçons de café / les Russes qui envahissent Megève /  les frasques de Rihanna à St Tropez.

Bref. Vous conviendrez que c’est rien moins que rageant, après dix-huit ans de pratique de l’anglais, d’en être encore là. En bonne Française, je me proclame victime du système. Plus précisément du système éducatif français des années 80 (« Femme des années 80, femme … », mais je m’égare) : déjà, en faisant allemand Langue Vivante 1 parce que c’est comme ça qu’on sépare le bon grain de l’ivraie les bons élèves des mauvais les élèves poussés par leurs parents des normaux, je ne partais pas bien. Par ailleurs, je suis partie tard, c’est-à-dire en commençant en quatrième et non, comme paraît-il c’est le cas aujourd’hui, au primaire voire à la maternelle ou à la crèche. Un retard que je n’ai malheureusement jamais rattrapé.

Si je n’ai point à rougir de mon anglais à proprement parler – contrairement à de nombreux Français qui refusent inexplicablement de s’exprimer dans la langue de Shakespeare devant leurs compatriotes – je me prends malgré tout à rêver au jour où je manierai impeccablement l’accent british.

En attendant, avec 400 000 Français à Londres et moult touristes en goguette, je tiens ma revanche. Tiens, pas plus tard que cet après-midi. Au détour d’une rue, un jeune homme m’aborde, chaussures bateau aux pieds, pull négligemment noué autour des épaules et accent franchouillard à couper au couteau :

– Excuse me, Madam, do you know where is ze pub ‘orse and Groom ?

Moi, du tac au tac et en français dans le texte :

– Alors, vous prenez à droite après le feu, et au bout de 200 mètres, c’est sur votre gauche. Bon WE !

La vengeance est un plat qui se mange froid.

Et vous, votre accent vous trahit-il ? Cela vous agace-t-il, ou cherchez-vous au contraire à en jouer ?

Mariage anglais vs mariage français : le match

Non, il ne s’agit pas de vous infliger un enième comparatif Kate/William – Albert / Charlène…

Vous le savez, hormis mon amour du roquefort et du ronchonnement, j’ai de bonnes raisons de me marier en France. Mais à force de voir s’envoler à la fois notre budget Eurostar et ma bonne volonté devant l’avalanche de paperasse que la République Française m’impose, j’en viens à me demander si je n’ai pas commis une grosse erreur. D’ailleurs, quand j’étais petite, je rêvais d’épouser un Anglais, un vrai : non pour la gastronomie locale (qui, à l’épqoue où les gastropubs n’existaient pas, avait quand même de sacrés progrès à faire), ou pour vivre le rêve anglais avec maison en banlieue et barbecue le dimanche après un samedi soir un peu trop arrosé ; mais pour l’accent inimitable, so chic !

Seulement voilà, la vie est passée par là, et, avec elle, un Prince hongrois que je me suis empressée de harponner avant qu’une autre ne s’en charge.

Ces réminiscences pré-maritales m’amènent à me poser la question suivante : au fond, mariage anglais, mariage français est-ce si différent ?

Le bilan en 10 points :

1. La préparation : dans les deux pays, les magazines « spécialisés » tenteront de vous persuader que le choix des centres de table / de la musique d’entrée / du « thème » (l’amour, ça compte ?) est absolument crucial. N’ayons pas peur des mots : puisque le jour de votre mariage est censé être rien moins que « le plus beau jour de vote vie », ces décisions sont, elles aussi, capitales.
Avantage : à personne – ou plutôt si : les magazines de mariage qui font leur beurre sur l’agitation grandissante de la future mariée

2. L’hystérie de la mariée : identique dans les deux pays, qu’il s’agisse des centres de table (décidément, késaco ?), de la police des faire-parts ou de « la » couleur du mariage. « Je n’arrive pas à me décider entre géranium et rose bonbon, qu’en dis-tu, Choupinet ? ». Choupinet, ayant compris depuis belle lurette que son avis, on s’en fichait comme d’une guigne, n’en dit pas grand-chose.
Avantage : à personne – ou plutôt si : les wedding planners (organisateurs/trices de mariage) qui ne manqueront pas de vous guider dans l’épineux choix des noms de table… moyennant finances.

3. La nourriture : la mariée aura beau faire l’éloge de la délicieuse verrine de queues d’écrevisses « et son petit jus », suivi d’une glorification de la pintade rôtie « accompagnée de ses petits légumes bien sûr », l’on sait bien que les repas de mariage sont, au mieux, mangeables… cela dit, en indécrottable chauvine n’ayant jamais pris part à un mariage anglais, je ne peux m’empêcher d’espérer que, sur ce troisième point, la France gagnerait malgré tout haut la main. Ne serait-ce que parce que, aussi infect que soit le plat, on peut toujours se rattraper sur les fromages.
Avantage : par décision purement arbitraire, à la France.

4. L’enterrement de vie de jeune fille : là, tout dépend de ce qu’on aime. Si l’on veut de la pintade braillant et brandissant une bouteille de mousseux bon marché à travers le toit ouvrant d’une limousine rose fluo, adopter la « hen night » britannique (attention, tenue incorrecte exigée). Si l’on préfère un hammam entre copines agrémenté de confidences badines mais point trop, choisir l’enterrement de vie de jeune fille (EVJF pour les initiées) à la française.
Avantage : en fonction de la tolérance au bruit / à la vulgarité / à la nudité de chacune.

5. Les produits dérivés : pour la plèbe, je ne sais pas, mais en revanche, dans le mariage princier, l’Angleterre bat la France (pardon, Monaco), à plate couture : franchement, vous voyez la famille monégasque produire du papier toilette à l’effigie du prince Albert et de sa dulcinée ?


Avantage : encore une fois, tout dépend sans doute de la sensibilité de chacun… mais soyons beaux joueurs, et accordons ce set à l’Angleterre.

6. L’humour : là où, pour vous remonter le moral, un Français ne trouvera qu’un pauvre « Mariage pluvieux, mariage heureux » (et pourtant, Dieu sait si ce dicton s’avérerait utile en Angleterre), l’Anglais fait preuve d’un cynisme tellement plus désopilant. Ainsi, la réflexion tout à fait véridique du SuperDirecteur de chez SuperConseil lorsqu’il apprit mon mariage : « Bonne chance. C’est le meilleur moment, profites-en : à partir de maintenant, les choses n’iront que de mal en pis » (en VO : it’s all downhill from here ; l’Anglais a aussi le mérite de la concision)
Avantage : sans conteste, à l’Angleterre.

7. La tenue des demoiselles d’honneur : il n’y a sans doute qu’en Angleterre que 3 / 4 / 5 / 6 jeunes femmes, dites bridesmaids, accepteront d’être toutes affublées de la même robe taille Empire couleur géranium (puisque c’est finalement « la » couleur du mariage, a décrété la wedding planeuse dans sa grande sagesse) qui « vous ira tellement bien. Oui, oui, à toutes les 3 / 4 / 5 / 6 » (et ce quelle que soit votre taille, poids, silhouette, couleur de teint) », les rassurez-vous (pour l’assentiment de la wedding planeuse sur la robe, compter un supplément).

La mariée française, elle, choisit généralement de laisser ses témoins s’habiller comme ils le souhaitent, avec les risques que cela comporte.


Avantage : pour le bon goût, sans doute à la France. Pour la rigolade, à l’Angleterre. C’est moi, ou la tendance se dégage de plus en plus nettement ?

8. Les discours : je pense qu’aucun Français – et aucun Anglais – n’a fait mieux depuis le célèbre « Quatre mariages et un enterrement », où le plus catastrophique côtoie le plus craquant…

Avantage : à l’Angleterre. Même si Hugh Grant nous rejoue le même rôle depuis vingt ans.

9. Les distractions : pour se mettre en jambes, les Anglais vont au pub … avant…


voire pendant… et surtout après, laissant les mariés se reposer après leur dure journée. En France, ceux-ci doivent faire semblant d’avoir la patate jusqu’au bout de la nuit, et ce même si la dernière fois qu’ils ont foulé une piste de danse remonte à leur premier baiser embrumé dix ans auparavant.
Avantage : pour les mariés, à l’Angleterre (permission d’aller se coucher à 22 heures). Pour les invités… à l’Angleterre aussi.

10. L’avenir : qu’on se soit dit oui ou yes, qu’on ait bu son poids en bière ou mangé son poids en foie gras, on se retrouve toujours avec un gros trou dans ses économies, une belle-famille plus ou moins supportable, et un Prince à se coltiner pour le meilleur et pour le pire.
Avantage : tout dépend du Prince…

PS : à tous ceux qui préfèrent en rire qu’en pleurer, je conseille cet excellent site.

« A New York les taxis sont jaunes, à Londres ils sont noirs et à Paris ils sont cons » (Frédéric Beigbeder)

Fin de soirée pluvieuse à Gare du Nord.

L’Eurostar a beau être pratique, rapide, propre et plutôt agréable même s’il y fait tellement froid que j’ai commencé à rapporter mes chaussons roses pour me tenir chaud aux pieds, la fin du trajet, Gare du Nord – point de chute du WE, n’est pas la partie la plus agréable de mes allers-retours Londres – Paris. Ayant un nombre limité de potes qui acceptent d’être réveillés à minuit pour me déplier leur canapé convertible, j’ai cette fois-ci décidé de rentrer dormir au domicile parental – être parent implique bien d’être réveillé par son enfant pour le restant de ses jours, non ?

D’humeur lasse et donc dépensière, je décide d’éviter l’itinéraire classique premier RER – deuxième RER – train de banlieue – marche en pleine nuit dans le froid, et de m’offrir le luxe reposant d’un taxi. Confort, chauffage et commentaire de match de foot à plein volume, me voici.

Sauf que cela fait maintenant plus de quinze minutes que j’attends dans le froid et la bruine. Du point de vue du temps, je pourrais me croire à Londres, à un détail près : les bruyantes lamentations de mes compatriotes. Là où les Anglais patientent vaillamment et même stoïquement, les Français ne cherchent nullement à dissimuler leur agacement envers les multiples défauts de la société. Morceaux choisis :

Une dame d’un certain âge, cherchant autour d’elle les regards compatissants : Y en a marre, de ces travaux ! Ils (mais qui donc ?) pourraient quand même se débrouiller pour qu’on n’attende pas des heures !

Une autre dame, engoncée dans son imperméable et l’air peu amène : Poussez pas !

Un homme d’affaires, à un couple avec deux enfants en bas âge, un bébé, une poussette et trois valises qui tente de passer devant tout le monde plus ou moins discrètement : Non mais, vous vous croyez où ? Faites la queue comme tout le monde !

Et ça commence dès le plus jeune âge, comme en témoigne une petite fille d’une dizaine d’années qui secoue la manche de sa maman en s’écriant : Maman, pourquoi on doit faire la queue ?

Pendant ce temps, les autres semblent faire un concours de soupirs.

Bon an, mal an, me voici enfin au chaud et au sec à l’arrière de mon taxi. Le chauffeur ne s’étant pas proposé d’ouvrir le coffre pour que j’y range ma valise, je la soulève tant bien que mal et la cale sur le siège arrière, en espérant qu’au moins j’échapperai au supplément bagages. Y a pas de petites économies, et c’est pas parce que je prends le taxi que je jette l’argent par les fenêtres, après tout.

Le chauffeur interrompt mes réflexions économiques nocturnes d’un ton bourru :

– C’est pour aller où ?
– (ville de la banlieue ouest parisienne où j’ai passé mes vertes années)
– (silence)
– Vous voyez où c’est ?
– Euh… non, pas trop. Vous voulez me guider ou je mets le GPS ?
– Ne vous inquiétez pas, je vais vous indiquer la route (que n’avais-je dit là). Vous passez par Opéra, puis Concorde, puis les quais, jusqu’au pont de Sèvres.

Jusqu’à Opéra, le chauffeur maîtrise à peu près. Rasséréné, il me lance même :

– Vous avez un très joli sourire, mademoiselle.

Ah, ça fait plaisir, ça, me dis-je naïvement, avant de répondre poliment :

– Merci beaucoup, Monsieur, c’est gentil.

– Non, mais vraiment, je vous le dis du fond du cœur, c’est pas tous les jours qu’on a des clientes comme vous (fatiguées ? stressées ? qui vous rembarrent pas du premier coup ?)

Je préfère ne pas pousser plus avant cette discussion et me concentre sur la passionnante émission de radio dont j’entends des bribes étonnantes. « Monsieur le Député, vous allez vraiment me dire que vous n’avez pas de quoi vous acheter de nouvelles chaussures ? ». Je ne sais pas ce que Monsieur le gentil chauffeur écoute comme station, mais c’est bon de constater qu’à la radio, on continue à traiter les sujets de fond.

Au bout de quelques minutes, nous voici à Opéra. Le chauffeur a visiblement épuisé sa connaissance de Paris (vive le GPS), car il m’interroge à nouveau :

– Et maintenant, pour Concorde, je vais tout droit, c’est ça ?
– Euh, non, à gauche, vous suivez la flèche « Concorde ».
– Là ?
– Non, ici (l’autre gauche). Là où c’est marqué « Concorde ».
– Ah, d’accord. Vous avez vraiment un très joli sourire, Mademoiselle. La prochaine fois, vous m’appelez, hein, je viens vous chercher. Et je fais même pas tourner le compteur avant.
– Euh… d’accord.
– Je fais pas ça pour toutes les clientes, hein (clin d’œil douteux), mademoiselle. Mademoiselle, Madame ?

Ouh, ça c’est subtil.

– Madame, réponds-je avec un sourire déjà plus réservé.
– Ah. (Silence dépité. Puis :) Et je vais où, là ?
– A droite. Non, pas vers les Champs-Elysées (klaxon de la voiture à notre gauche qui a bien failli nous emboutir, Gentil Chauffeur Un Peu Relou, ma valise, et moi), la suivante (l’autre droite), vers les quais.
– D’accord (il ne connaît pas Paris, mais au moins il n’est pas contrariant). Vous voulez venir vous asseoir devant pour me guider, je vous fais une place ?

Dans tes rêves.

– C’est gentil (sourire encore un peu plus crispé), mais je suis vraiment fatiguée, je vais rester là où je suis. Si ça se trouve (et si tu insistes), je vais m’endormir.
– Ah, c’est dommage. Non, parce que si vous vouliez… Point d’interrogation (sic) ?

Emerveillée par tant de délicatesse, je glousse :

– Euh, non, franchement, il ne faut pas se faire d’illusions, là !

Puisqu’il faut te mettre les points sur les « i »…

– Bon, ben je vais me contenter de votre sourire, Madame… Dommage… Comment ça se fait que toutes les femmes qui me plaisent elles soient mariées?
– Il y en a aussi des très bien qui ne le sont pas, vous savez ?
– Ah, mais moi aussi je suis marié. C’est pas un problème hein, ajoute-t-il au cas où c’est ce détail qui me retiendrait.
– Visiblement, il y en a qui sont plus mariés que d’autres. Moi, je suis mariée-mariée.

On ne peut pas faire plus clair, si ? Gentil Chauffeur Carrément Relou doit comprendre, puisqu’il n’insiste plus. Vingt minutes et pas mal d’autres klaxons plus tard, nous voici enfin parvenus à destination, dixit le GPS que le chauffeur a décidé d’allumer en désespoir de cause.

– Vous voulez que je vous aide ?

Ah tiens, il s’est souvenu que j’avais une valise.

– Non, merci, c’est gentil, ça va aller.

De toute évidence, il n’a pas dû tout à fait enregistrer le message que je n’ai eu de cesse de lui répéter durant ce long et éprouvant trajet, puisqu’il tente une dernière approche :

– Vous êtes sûre que vous ne voulez pas…

Quoi ? Te donner mon numéro de téléphone ? Te laisser me prendre sauvagement sur la banquette arrière ? T’épouser et te faire plein d’enfants ?

J’éclate carrément de rire :

– Non, vraiment, y a pas moyen, désolée !

Après ça, qu’on ne vienne plus me dire que les taxis parisiens sont désagréables.