De l’importance de la Guinness dans le succès professionnel outre-Manche

– Tu ne vas pas assez au pub, me décrète mon chef, SuperChef, d’un ton sans appel.

S’il y a bien une phrase qu’un employé français ne risque pas d’entendre de la part de son supérieur hiérarchique, c’est bien celle-ci. Sauf si la scène se déroule en Angleterre…

Ironiquement, c’est justement au pub que SuperChef m’assène ce verdict. C’est un vendredi soir comme les autres, une grise soirée de novembre où il vente et pleuvine dehors. Un soir où toute personne normale – du haut de ma chauvine mauvaise foi, j’entends par là un Français – se dépêcherait de se carapater du travail en songeant : « Ah, qu’est-ce que je serai mieux à la maison ! ».

Mais nous sommes en Angleterre. Et rien de tel qu’un vendredi soir, même pluvieux, pour faire sortir l’Anglais de sa réserve toute britannique. A 18 heures tapantes (ou 17h30, voire même 16h59 chez SuperConseil), l’Anglais range ses stylos, éteint son ordinateur et s’exclame à la cantonade : « Ah, qu’est-ce qu’on sera mieux au pub ! Je vous retrouve en bas, hein ? ».

En effet, la « socialisation » (suis-je en train de commettre un odieux anglicisme ?) ne se déroule pas, comme en France, autour de la machine à café. Tout au plus les Anglais échangent-ils quelques banalités très politiquement correctes lorsqu’ils se croisent autour de la théière : je vous avais déjà relaté mes doutes et mon expérience en la matière.

Mais les ragots, les futures promotions, les réorganisations faussement secrètes, la raison pour laquelle SuperChef, est arrivé en retard et tout échevelé à la dernière grand-messe SuperConseil-lesque ? Tout ça, c’est au pub que ça se passe. La morale de l’histoire : en n’allant pas au pub, je passe à côté de 99% de ce qui se joue dans les coulisses du monde redoutable de SuperConseil. D’où le reproche de SuperChef.
Et je serais bien en peine de lui démontrer le contraire. Lui soutenir que « c’est juste que, chaque fois que j’y vais, ça tombe un soir où tu n’es pas là » ? Peine perdue : SuperChef est là tous les soirs ou presque ; d’ailleurs, c’est justement pour ça qu’il est arrivé en retard et en piteux état à la réunion de service mentionnée ci-dessus. SuperChef a raison : je ne fréquente pas suffisamment le pub. Conséquence : je connais mal les ragots, peu mes collègues, et pas du tout les faiblesses de mon chef. Mais j’ai de bonnes raisons.

Les ragots sont toujours à peu près de la même teneur :

– Tel sous-grouillot va démissionner, ayant réalisé que tant qu’à exercer un métier aussi épanouissant que sous-grouillot, autant être grassement payé pour. Les cordonniers étant éternellement les plus mal chaussés, c’est loin d’être le cas lorsqu’on vend des bases de données de salaire pour SuperConseil

– Telle grouillote améliorée (pour rappel, la structure hiérarchique de SuperConseil se trouve dans ce billet) vient de réaliser que sa vocation consistait non pas à grouilloter, mais à ouvrir un bar en Thaïlande / être vendeuse dans une boutique de haute couture / devenir psychologue (exemples tous véridiques)

– Tel ponte adjoint n’est pas en vacances, mais chez lui, au fond du trou, vu qu’il vient de se faire virer comme un malpropre. OK, il avait rempli 3 de ses 4 objectifs, mais comme les 3 objectifs en question étaient les objectifs-pipeau-qu’on-va-inscrire-pour-faire-plaisir-aux-ressources-humaines (exemple : « Se montrer disponible et jouer le rôle de mentor pour les juniors de l’équipe ») et le quatrième, non atteint, « Atteindre XXX 000 livres de chiffre d’affaires », le calcul a été vite fait.

– Au contraire, tel autre ponte adjoint est sur le point d’être promu Grand Ponte. Pas d’explication à l’horizon – sauf si « Lécher les bottes de Super-Grande-Ponte plusieurs fois par semaine depuis trois ans » constitue une raison valable.

Passons à la deuxième chose que je loupe : me lier davantage avec mes collègues. Là, je dois bien avouer l’horrible vérité : je préfère de loin passer la soirée à jouer à mon jeu vidéo préféré qu’à créer du lien social. En tout cas avec mes camarades SuperConsultants. Déjà, avec le bruit ambiant, je comprends un mot sur trois, ce qui rend toute conversation difficile à suivre. Par ailleurs, l’essentiel des conversations porte sur des références culturelles qui m’échappent (la télé-réalité anglaise / les ragots de SuperConseil sur lesquels j’ai un retard impossible à rattraper / la télé-réalité anglaise). Enfin, le niveau d’alcoolémie augmentant de manière absolument régulière tout le long de la soirée, tout ce beau monde parle de plus en plus fort et articule de moins en moins : bien vite, je ne comprends plus qu’un mot sur quatre.
Parfois, prenant pitié de mon air perplexe, l’un de mes collègues répète à mon intention la dernière phrase prononcée. Très fort. J’essaie d’expliquer que je ne suis pas sourde, juste pas anglophone. Et que je n’ai pas la télé.

Là, mon interlocuteur prend ça pour une blague – après quatre ou cinq pintes, tout paraît amusant – et éclate de rire, reprenant aussi sec la conversation avec le reste du groupe. Pour mieux connaître mes collègues, il faudrait donc déjà comprendre ce qu’ils disent. Sauf si « mieux les connaître » veut tout simplement dire « savoir à quoi ils ressemblent quand ils ont trop bu ».

Enfin, quant aux faiblesses de mon chef, une soirée suffit à les identifier :

1. La Guinness
2. La Guinness
3. La Guinness
Eh oui : SuperChef est irlandais.

Tout cela explique sans doute pourquoi je n’honore plus guère le pub de ma présence que lors des pots de départ groupés (comme celui du sous-grouillot, grouillotte améliorée et sous-ponte dont je vous parlais plus haut), prétextant le reste du temps un départ à Paris / un mal de crâne après une dure semaine de travail / une sortie au théatre (sous-entendu : « Vous voyez, y a pas que la télé-réalité dans la vie ! »).
Mes collègues ne s’y trompent guère : preuve en est faite lorsque l’un d’eux conçoit et fait imprimer un jeu de cartes à l’effigie de chacun des employés du service, chaque carte indiquant le niveau d’ébriété moyen de la personne, ses phrases fétiches au pub et sa boisson préférée, la mienne ne comporte… rien.
Parce que je n’ai pas de carte du tout : il a oublié que je faisais partie du service.
« Ben oui, tu viens jamais au pub ».
Et pour cause.

Et vous, comment vous entendez-vous avec vos collègues ? Ils sont plutôt machine à café, cantine ou sortie après le travail ?

Rendez-vous sur Hellocoton !

Pause déjeuner à l’anglaise (2) : le delicatessen

Je serai une vraie Anglaise ou ne serai pas : les premières semaines de mon expatriation anglaise sont placées sous le signe de l’intégration. Je suis bien décidée à ce que mes journées ressemblent le plus possible à celles des autochtones, à savoir :

– commencer par une réconfortante tasse de thé (mais sans lait ni sucre, au grand dam de mes collègues)

– travailler dur pour pouvoir se payer un sandwich à la fois cher et contenant cinq fois la limite quotidien recommandée de graisses saturées

– terminer la journée en beauté : non pas au resto avec d’autres Français égarés – pardon, expatriés – à Londres (« Venir à Londres pour rencontrer des compatriotes, quelle absurdité ! » m’exclamai-je maintes fois naïvement), mais au pub avec ses collègues. C’est-à-dire à la fois transi de froid (il y a toujours un Anglais bien intentionné pour s’écrier « Oh, il reste une table dehors, génial ! », alors qu’il fait 10 degrés), et saoule (il faut bien se réchauffer).

Mais avant d’aborder le riche sujet des soirées arrosées au pub, attardons-nous encore sur ce moment bien insignifiant dans la vie d’un Anglais : la pause déjeuner. Dans l’esprit « Food is Fuel » (le slogan de mon collègue James), le seul but est de se remplir l’estomac pour tenir jusqu’à 17h, voire amortir la première pinte de 17h30 si le sandwich est vraiment gigantesque.

Telle l’exploratrice Alexandra David-Néel observant les Tibétains, j’étudie donc attentivement le comportement de mes collègues dans notre semblant de cuisine / cantine :

– quelques-uns sortent du réfrigérateur gracieusement mis à notre disposition par SuperConseil des restes de takeaway curry (très populaire après une cuite, donc très populaire)

– d’autres, plus chanceux, réchauffent un petit plat généralement mitonné par leur femme / copine / maman

– enfin, il se trouve toujours quelques jeunes femmes déjà bien fluettes pour contempler avec satisfaction leurs trois feuilles de salade parsemées de tomates cerises et de minuscules dés de concombre (« Mais où sont le plat, le fromage et le dessert ? » me retiens-je de leur crier)

A ceux qui cherchent désespérément une excuse pour quitter – même temporairement – les locaux de SuperConseil, il reste deux solutions : le delicatessen, et le supermarché. Commençons par le delicatessen, ou deli pour les initiés.

Trop paresseuse pour me faire la cuisine, trop gastronome pour le sandwich triangle auquel je voue une véritable haine, je me laisse guider par mes collègues jusque chez Vittorio. Vittorio tient un des quatre delis italiens présents dans un rayon de 500 mètres autour de SuperConseil, et sans doute l’un des plus populaires également : la queue déborde jusque dans la rue. En indécise invétérée, j’en profite pour me lancer dans une analyse approfondie de l’offre. Deux segments principaux se dessinent à l’ancienne marketeuse que je suis :

– les plats cuisinés : lasagnes, cannelloni, spaghetti bolognaise, escalopes milanaises… Crème onctueuse, huile d’olive scintillante, viande moelleuse : tout a l’air absolument succulent. Et beaucoup trop dévastateur pour ma ligne pour être dégusté autrement que du regard.

– les sandwiches : là, c’est bac + 3 ou cinq ans d’expérience minimum. Devant moi, pas moins d’une vingtaine de garnitures différentes, du poulet-avocat-crème (même motif, même punition) au bacon-brie en passant par le curry vert d’agneau (on n’est pas dans une ville cosmopolite pour rien). Et le casse-tête ne s’arrête pas là. Il faut également choisir le type de pain, sandwich servi chaud ou froid, si on veut de la salade, sur place ou à emporter…

Je débats longuement le pour et le contre d’une douzaine de combinaisons avant de me rendre compte qu’un de mes collègues me pousse du coude : je bloque la queue depuis au moins vingt-cinq secondes, crime impardonnable dans un tel lieu. Dans le doute, je cède à l’appel du ventre et opte pour les lasagnes. Avec un tiramisu en dessert, juste pour être sûre.

Au bout d’un mois de ce régime méditerranéen pourtant réputé si sain, ma balance affiche + 3 kilos. Il est temps de changer de stratégie – mais pas question pour autant de cuisiner. Adieu, délicieux mets  amoureusement par Vittorio, Kasia et Ania (Londres fourmille alors de Polonais). A moi, plats allégés confectionnés par mes nouveaux amis, Marks et Spencer.

 

Rendez-vous sur Hellocoton !

Pause déjeuner à l’anglaise (1)

Quand vous vous expatriez en Angleterre, vous arrivez la tête pleine d’idées reçues qui se traduisent par des mots un peu effrayants comme flexibilité, précarité ou productivité. Plusieurs mois après être arrivée chez SuperConseil, pleine d’illusions et de bonne volonté (les premières nourrissant la seconde), je dois avouer que ma plus grande déception est tout bonnement celle-ci : le déjeuner.

Ma contrariété n’est pas d’ordre gastronomique : je n’étais pas naïve au point de m’attendre à un véritable festin chaque midi. Non, les choses sont bien plus simples que cela : la cantine me manque.

Eh oui, la cantine. Vous savez, le lieu où, après avoir bravé les dizaines d’employés affamés ou simplement prêts à tout pour quitter un instant leur poste de travail (« Il est 11h59, on descend ? »), affronté Jeannine de la caisse et son regard qui tue (« Tu crois que je l’ai pas vue, la tarte au citron meringuée discrètement planquée derrière le yaourt nature ? Et repose-moi ce deuxième morceau de pain surgelé tout de suite ! Tu manges tes haricots verts sans beurre comme tout le monde !») et enfin slalomé entre des tables en formica plus ou moins sales, vous vous asseyez enfin, accompagnée de collègues dont le seul point commun avec vous est le mépris que vous inspire votre chef. Ah, le bonheur de déblatérer quarante minute durant – sans compter les prolongations autour de la machine à café (si telle est la culture de l’entreprise). Y a pas à dire, il fait bon vivre dans les entreprises françaises.

C’est donc avant tout cette convivialité bon enfant me manque. J’avais espéré retrouver en Angleterre de telles discussions enflammées, l’accent anglais / indien / italien / allemand en plus (mon service comprend pas moins de huit nationalités différentes). Hélas. Ici, point de cantine. Point même de coin-repas commun, hormis trois micro-ondes qui tournent à plein régime et six chaises hautes le long d’une sorte de bar donnant sur une cour intérieure grise et sale.

En contrepartie, chacun occupe son heure de pause déjeuner comme il le souhaite – en théorie du moins. En pratique, il est bien vu de faire semblant d’être un robot ultra-productif et de ne pas déjeuner, ou alors très vite devant son bureau et en acceptant d’être interrompu pour des questions essentielles du genre « Tu n’aurais pas une agrafeuse à me prêter ? ». Du coup, lorsque Big Ben sonne midi, mes collègues déjà peu loquaces le reste du temps (sauf pendant les nombreuses tournées de thé) s’enfuient sans dire un mot des locaux de SuperConseil.

Passé le premier jour où un collègue bien intentionné (?) m’avait emmenée chercher un sandwich (et profité de cette échappée pour démolir consciencieusement mon nouvel employeur), je me retrouve donc seule face à mon tableur Excel à l’heure du déjeuner. Suis-je la mal aimée, la nouvelle brebis galeuse de l’open space ? Bien que prompte à douter de mes capacités d’intégration, je peux a priori éliminer cette éventualité. Etre impopulaire, je connais : maudire sa non-coolitude, seule à une table, pendant qu’un groupe de jeunes filles blondes, à forte poitrine et plus populaires les unes que les autres passe sans vous voir (elles doivent avoir un radar anti-moches) avec force éclats de rires, j’ai donné pendant tout le lycée.

Ici, nul phénomène de groupe en jeu : chacun semble quitter son bureau de manière aléatoire, pour y revenir au bout d’une durée tout aussi aléatoire, s’échelonnant de trois minutes (pour ceux qui viennent d’être embauchés ou ceux qui font les soldes sur Internet) à plus d’une heure (pour ceux qui viennent de filer leur démission ou qui veulent font les soldes sur Oxford Street).

Désireuse de m’intégrer, mais sans être cataloguée comme boulette dès le deuxième jour, j’avais à mon arrivée hasardé un timide : « Je peux t’accompagner ? » en voyant un collège à l’abord fort sympathique se lever, son parapluie à la main (pas de manteau, les Anglais n’ont jamais froid, comme l’expérience me le montrerait plus tard). Le dit-collègue m’avait regardée comme si j’avais proposé de l’accompagner aux toilettes : interloqué, et même légèrement choqué. Heureusement, la légendaire politesse anglaise avait rapidement repris le dessus :

– Je suis désolé, Eva in London, mais je dois aller acheter une carte d’anniversaire pour ma grand-mère.

(Petite digression pour le plaisir : l’expérience m’apprendrait aussi que les Anglais cultivent un goût attendrissant pour les cartes de vœux. Joyeux Anniversaire, Tu es un Grand-Oncle par alliance génial, Félicitations pour ta licence en sociologie, Bravo c’est un garçon et il s’appelle James, il y en a pour tous les goûts. Il y a tellement de choix qu’en cherchant bien, mon collègue a même dû trouver la carte de ses rêves : Joyeux-Anniversaire-Grand-Mère-74 ans-ça-se-fête-et-félicitations-pour-ta-troisième-petite-fille-tant-qu’on-y-est).

Désormais, je suis au point. Lorsque midi approche, quatre étapes : 

  1. A regret, lever les yeux de mon calculateur de salaire optimal

  2. Guetter les gens qui se lèvent de leur chaise

  3. Eliminer ceux qui vont effectivement aux toilettes sous peine de passer pour une psychopathe, ou, pire, une Française mal élevée

  4. Enfin, réussir à m’attacher la compagnie d’un(e) collègue sans doute prise de pitié par mon regard aux aguets.

Prochain arrêt : le delicatessen.

Rendez-vous sur Hellocoton !

A Rome, fais comme les Romains. A Londres…

… mange comme les Anglais.

Mal ? Vite ? Mal et vite ?

Non : mange chinois, thaïlandais ou indien.

Ce WE, dans un souci d’intégration, Prince et moi décidons de tester un petit restaurant chinois dont l’un de mes collègues m’a dit le plus grand bien. « Very authentic », « sooo good », et que sais-je encore. Comme le collègue en question a un accent liverpoolien (ça se dit, ça ?) à couper au couteau, je me suis concentrée sur l’essentiel : c’est bon, et c’est pas cher.

Vendredi soir, 19h30 : Prince et moi nous aventurons dans les petites rues de Chinatown, à la recherche du fameux restaurant (pour ne froisser personne, appelons-le Delicious China). 19h30, c’est pas un peu tôt, ça, pour un dîner romantique, vous demandez-vous ? Rappelez-vous : ce soir, nous sommes dans l’esprit « on fait comme les Anglais » ; le but n’est pas de passer une soirée tranquille en amoureux. C’est de se caler l’estomac le plus rapidement ET efficacement possible pour se lancer sans trop de dégâts dans la première cuite du WE. Et si vous pensez que j’exagère, je vous mets au défi de soutirer trois mots d’affilée à mes collègues le lundi matin.

La porte de Delicious China s’ouvre alors que nous arrivons. Sans réaliser la chance que nous avons, nous pénétrons dans la minuscule échoppe. Le couple suivant, qui a eu l’impudence de rentrer sans permission, se fait réprimander d’un sec “Wait outside please !”. Un accueil qui présage bien (mal) de la suite du repas.

Impassible, notre serveuse nous fait asseoir sans un mot de bienvenue. Son badge nous apprend quand même qu’elle s’appelle Wendy (prénom typique s’il en est ?). A côté de nous, vision rassurante : un couple de “vrais” Chinois passe commande, en chinois s’il vous plaît, à Wendy. Leurs plats arrivent promptement, tellement nombreux et copieux qu’ils tiennent difficilement sur la table. Sans se laisser démonter, nos voisins empoignent leurs baguettes et font un sort à leurs huit assiettes à grands coups de slurp avant même que nous ayons eu le temps de nous décider . « So authentic ! »

En effet, perdus dans la carte que notre aimable serveuse a jetée sur la table, nous commandons la spécialité de la maison, d’énormes beignets farcis à la viande ou aux légumes, des nouilles à la Chengdu ainsi qu’un porridge de millet (?) censé accompagner les beignets.

Toujours optimiste, j’oublie la légendaire réticence de Prince à manger des aliments verts et/ou apportant moins de 500 calories aux 100 grammes, et lui demande :
– Et si on prenait aussi des épinards au gingembre et une salade comme accompagnement ?
Grimace de Prince :
– Heu… la prochaine fois ?
Bien tenté.

En guise de boisson, nous demandons courageusement de l’eau du robinet – c’est très tendance dans le Londres post-crise financière. Quelques minutes plus tard, alors que nous nous débattons avec nos beignets, nous ne voyons toujours rien venir. Un verre d’eau s’avérerait pourtant bien utile pour nettoyer la chemise blanche de mon banquier de Prince, toute éclaboussée de sauce Chengdu.

Heureusement, Wendy réapparait :
– Nous ne servons pas d’eau du robinet le vendredi soir.
Ca, c’est une réponse énigmatique. Je ne compte pas m’en tenir là.
– Ah bon ? Pourquoi ? Le robinet ne marche pas le vendredi ?

J’ai beau protester pour la forme tandis que Prince s’enfonce dans son siège, rien à faire. Je finis par céder et commander de l’eau plate. Je vous passe l’épisode où, servis par David (un autre prénom typique ?), nos voisins ont, eux, le privilège de boire de l’eau du robinet, je fais un scandale, Wendy engueule David en chinois, et finit par nous retirer nos bouteilles d’eau minérale (sans jamais les remplacer par ces fameux verres d’eau du robinet).

Réjouie par cet accueil chaleureux, je décide de marquer mon mécontentement en payant uniquement en petite monnaie – et quand je dis petite monnaie, je ne plaisante pas : uniquement des pièces de 50, 20, 10 et 2 pence. La réaction de Wendy ne se fait pas attendre. Elle arrive à notre table, alertée par les grands signes de Prince et mon sourire jusqu’aux oreilles, jette un coup d’oeil à la coupelle débordante de monnaie, et lance :
– Nous ne prenons pas les pièces de 2 pence.
– Le vendredi soir uniquement, ou c’est toujours comme ça ?

Notre serveuse a dû apprendre « Comment résoudre un conflit avec un client en dix leçons », car elle répète simplement, mais non moins agressivement :
– Nous ne prenons pas les pièces de 2 pence.
– Ah bon ? Pourquoi ? Ce n’est pas de l’argent ?

Wendy a beau grogner, elle finit par empocher 500 grammes de petite monnaie. Plutôt que de savourer cette petite victoire, nous préférons quitter rapidement les lieux : David vient de jeter nos manteaux sur la table, signe subtil s’il en est que notre présence n’est plus requise.

Finalement, c’est dommage qu’on n’ait pas testé les épinards au gingembre, parce qu’il y a peu de chances qu’on y retourne, à Delicious China.

Rendez-vous sur Hellocoton !

 

Comment définir l’amitié, ou la théorie des cercles

Lorsque j’ai suivi Prince à Londres, je me suis juré que je ne conjuguerais pas expatriation avec ermitation. Je m’explique : des amis, je n’en ai déjà pas beaucoup. J’ai donc intérêt à garder ceux que j’ai.  Je pourrais dire que j’ai toujours préféré la qualité à la quantité, ou plus simplement avouer que, contrairement aux apparences, je suis plutôt timide (j’en vois déjà qui ricanent, au fond) et particulièrement mal à l’aise en groupe.

Reprenons : je n’ai pas beaucoup d’amis. Même en additionnant le cercle 1, le cercle 2 et le cercle 3, je peine à franchir la vingtaine. « Les cercles, késaco ? » demandent les distraits du fond de la classe.

Ah… la théorie des cercles, un concept estampillé Eva in London. Petit cours, magnifique dessin Powerpoint à l’appui.

Où que vous vous situiez sur l’échelle de la sociabilité, la théorie des cercles fournit un langage commun. Explication :

– Le cercle 1 est composé de vos amis à-la-vie-à-la-mort : ceux qui vous ont vue inconsolable après que Faux Prince vous ait jetée comme une chaussette sale, pas coiffée le matin (vision d’épouvante s’il en est), pas coiffée le soir ET en pyjama rose, complètement paf en soirée à chercher un nouveau Prince (mais toujours pas coiffée)… bref. Ceux dont vous savez que vous pouvez les appeler à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, parce que… ben, vous l’avez fait, et ils vous adressent encore la parole.

– Le cercle 2 : ah, compliqué et subtil, le cercle 2 ! S’il est généralement facile de définir qui fait partie du cercle 1, le cercle 2  est plus complexe. Il se compose d’amis certes proches… mais sans doute pas assez pour leur demander tout et n’importe quoi. Dans le cercle 2, tout est affaire de circonstances : la vie pourra vous rapprocher (vous vous découvrez une passion commune pour l’origami, ou l’histoire du Moyen-Âge, peu importe) ou vous éloigner (vous vous découvrez une antipathie pas du tout commune pour son nouveau Prince).

– Le cercle 3 : les copains que vous voyez rarement, mais avec plaisir. Vous restez suffisamment proches pour pouvoir les appeler juste pour leur demander un service… mais vous omettrez de leur raconter votre dernière dispute avec Prince (qui est encore rentré tard).

– Le cercle 4 se résume en un mot : « connaissances ». Les gens qui situent qui vous êtes, s’arrêtent pour vous faire la bise dans la rue et, si vous avez de la chance, se souviennent de votre prénom (alors que vous avez déjà du mal à remettre leur visage). Colossal et capital pour les grands mondains, réduit à peau de chagrin dans mon cas.

Les cercles font donc office de mètre-étalon de l’amitié. Mais ils ont aussi le mérite de donner lieu à des débats enflammés. Votre copine d’enfance qui n’a pas répondu à vos huit derniers mails mérite-t-elle encore de faire partie du cercle 1 ? Ou doit-elle être reléguée en deuxième division, euh, pardon, au cercle 2 ? Votre collègue de travail (relation épineuse s’il en est) et camarade de gym (plus délicat encore, sueur et pantalon de jogging oblige) est-elle digne de passer du cercle 4 au cercle 3 ?

J’espère avoir été claire avec ce petit cours sur la théorie des cercles.

Ainsi, même en étant généreuse, les amis de mes trois cercles se comptent sur les doigts des mains et des pieds. Et je suis déterminée à ne pas les perdre juste parce que j’ai traversé la Manche.

Cela va s’avérer être un exercice de haute voltige…

Rendez-vous sur Hellocoton !

Et vous, à quoi ressemblent vos cercles ? Avez-vous une théorie concurrente à proposer ?

Et pour celles et ceux qui aiment les théories : celle-ci est une véritable perle en la matière (en VO, malheureusement).

La première gorgée de bière… pardon, de thé (anglais).

Chose promise, chose due. 10h45, troisième tournée de la matinée : l’heure est venue de goûter le thé anglais. 

– Qui veut une boisson chaude (Who’s up for a hot drink) ? lance à la cantonade l’un de mes collègues, Rob.
– Avec plaisir ! Un thé, please.

Les Anglais étant, paraît-il, très à cheval sur la politesse, je commence et/ou termine toutes mes phrases par please, thank you et autres that’s great. C’est ça, d’être motivée pour s’intégrer. D’asociale et renfrognée, me voici désormais polie et entousiaste.

Mes bonnes résolutions vont vite être mises à l’épreuve.

– Du lait et un sucre (Milk, one sugar) ? demande Rob en s’éloignant avec le plateau (essentiel lorsqu’il s’agit d’assurer trois thés et deux cafés).

Je le rattrape par la manche, affolée.

– Non, merci, juste un thé très léger (No, thank you, just a very light tea).

Je l’ai échappé belle. Du moins, c’est ce que je crois, jusqu’à ce que, cinq minutes plus tard, Rob revienne et dépose sur mon bureau un breuvage peu ragoûtant.

– Mais tu avais demandé un white tea ? me demande-t-il en voyant mon dégoût.
– Ben oui… pas fort, quoi !
– Et voilà : un white tea, pas fort.

Nous nous regardons, aussi perplexes que prêts à faire avancer la communication entre nos deux peuples. Prise d’un affreux doute, je fais le premier pas :
– Attends… un white tea, c’est bien un thé pas fort ?

Rob éclate de rire et s’exclame, soulagé (l’honneur anglais est sauf) :

– Mais non ! Un white tea, c’est un thé avec du lait. Si tu en veux un pas fort, c’est un thé faible (weak tea). Je t’en refais un.

Moi, pressentant un nouveau désastre, mais toujours polie :
– Non, non, merci beaucoup, mais c’est pas la peine, merci !
– Si, si, j’insiste.

Rob fait quelques pas, puis se retourne vers moi, perplexe :
– Tu es VRAIMENT sûre que tu ne veux ni lait, ni sucre ? Parce que ça ne va pas être bon !

On n’a clairement pas la même notion de ce qui est bon, mon loulou, me retiens-je de rétorquer. Au lieu de ça (intégration, intégration), je réponds calmement :
– Oui oui, c’est parfait, merci beaucoup !

Rob a beau s’éloigner en marmonnant « Ils ont des goûts bizarres, ces Français », il me rapporte quelques minutes plus tard un thé conforme à ma commande. Sans lait, ni sucre. Et tellement noir que je crois tout d’abord qu’il s’agit d’un café.

– Ca n’a pas l’air très bon, remarque Rob en plissant le nez.

Il a raison. Rob ne sait peut-être pas ce qui est bon, mais il sait ce qui est mauvais. Voire infect. Même pour faire avancer les relations franco-britanniques, impossible d’en avaler une goutte. Re-consternation de mon collègue :
– Mais… c’est exactement ce que tu voulais (« décidément, ces Français, jamais contents ») ! J’ai à peine trempé le sachet !

Je sens qu’il va en falloir, des please et des thank you, pour laver l’affront de ma première tasse de thé.

Rendez-vous sur Hellocoton !

Le thé à l’anglaise, pas trop ma tasse de thé

– Qui s’occupe de la prochaine tournée ? (“Who’s getting the next round ? »)

– Allez, je me dévoue !

Ce dialogue n’a pas lieu au pub le vendredi soir, mais dans mon open space. Tel un mantra, il y est répété une fois, dix fois, cent fois par jour. Précision de taille : il ne s’agit pas de pintes de bière, mais de (beaucoup) de tasses de thé.

Chez SuperConseil, c’est tea time toutes les dix minutes.

Je ne sais pas où les Anglais casent tout ce thé. Ou peut-être cette exceptionnelle consommation de liquide leur sert-elle simplement d’entraînement pour les beuveries du WE.

Quoiqu’il en soit, moi, ca me laisse perplexe. Soit il s’agit de maximiser simultanément le nombre et la durée des pauses que l’on arrive à faire en une journée de « travail » sans se faire virer, en assurant des commandes dignes d’un café parisien (cinq thés, un avec lait et deux sucres, un sans lait et un sucre, trois avec lait et un sucre, deux cafés dont un extra fort, et un verre d’eau), et là, j’aime autant sortir faire un tour de pâté de maisons (sauf qu’il pleut, j’avais encore oublié) ; soit… ils aiment vraiment ça.

Et là, ça me dépasse.

Comprenez-moi bien : j’aime bien le thé. Surtout depuis que j’ai découvert que « thé » n’était pas synonyme de sachet de Lipton Earl Grey. Ah, les bonheurs d’un thé Marco Polo de chez Mariage Frères…

(oui, oui, j’assume très bien mon côté bourgeoise parisienne même pas bohème)

Mais ce que boivent mes collègues à longueur de journée n’a de thé que le nom. Ni l’apparence (vaguement caca d’oie avec l’incontournable ajout de lait), ni le goût (les trois sucres ayant au moins le mérite de le masquer un peu). Une de mes amies a même élaboré une théorie particulièrement convaincante pour expliquer ce phénomène paradoxal : si les Anglais noient leur thé dans le lait et le sucre, c’est qu’au fond, ils n’aiment pas vraiment ça. Ce qu’ils aiment, c’est le réconfort que leur apporte ce rituel social du thé. D’ailleurs, là où Montesquieu affirmait « Je n’ai jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture n’ait dissipé », un Anglais est plus susceptible de faire sienne la devise « Je n’ai jamais eu de gueule de bois / gros rhume / coup de barre du lundi qu’une bonne tasse de thé n’ait dissipé ».

N’empêche, intégration oblige, à la prochaine tournée (d’après mes estimations, dans cinq à dix minutes), je me jette à l’eau.

Rendez-vous sur Hellocoton !

Premier jour de travail chez SuperConseil – le bilan

Ca y est : j’ai fini ma première journée chez SuperConseil. O bonheur : l’heure est venue de retirer mes escarpins. Je n’ai vraiment plus l’habitude, ça me change de mes chaussons roses et de mes baskets :

N’assumant vraiment pas les chaussons roses fluo, je les ai remplacés par une paire de chaussons d’hôtel, légèrement moins embarrassants. L’idée du contraste y est

L’heure est venue, donc, de retirer mes escarpins, de m’affaler sur le canapé (ça, je n’ai pas perdu l’habitude), et de faire un petit bilan (et ça, j’adore). 

Commençons par les points positifs : aucun des scénarios catastrophe qui m’ont tenue éveillée la moitié de la nuit dernière ne s’est réalisé. Il faut dire qu’en anxieuse pathologique, j’avais mis toutes les chances de mon côté :

  1. Je ne suis pas arrivée en retard – forcément, j’étais là tellement tôt que j’ai failli m’endormir sur mon bouquin avant même que la journée ne commence
  2. Mon collant n’a pas filé – mais j’en avais emporté deux de rechange
  3. Ma jupe n’est pas restée coincée dans ma culotte en sortant des toilettes – mais, « au cas où », j’avais passé dix bonnes minutes ce matin à choisir des dessous ni trop négligés (genre vieille culotte en coton de couleur non identifiée) ni trop aguicheurs. Histoire de limiter les dégâts en cas de crise. Parce que tant qu’à montrer sa culotte, autant que ce soit la bonne. Si, si, ça se tient comme raisonnement. Ou est-ce l’humour anglais, tendance scato, qui déteint déjà sur moi ? Moi qui déteste ça, je suis sur la mauvaise pente.
  4. Enfin, si mes nouveaux collègues se sont moqués de moi, je n’en ai rien vu. J’ai quand même commencé à tenir un fichier Word intitulé « Professional English » répertoriant tout ce que j’entends autour de moi… avec l’espoir de comprendre un jour ce qui se dit.

Bon, maintenant que j’ai atteint mon quota de pensées positives pour la journée (ma résolution du moment pour faire face à toute cette pluie), laissons parler la vraie Eva in London, celle qui n’aime rien tant que se plaindre, critiquer et gémir. Parce que tout n’a quand même pas été complètement rose non plus. 

Outre les heures passées à faire semblant d’être absorbée par les lectures que l’on a bien voulu me donner (« Etude sur l’évolution des avantages en nature en Angleterre »), je n’ai retenu qu’un prénom sur la vingtaine de personnes que l’on m’a présentées aujourd’hui. Et encore, je ne suis pas sûre de l’avoir associé à la bonne tête.

Mais il y a plus grave : le règne du sandwich triangle. La pause déjeuner venue, j’ai observé mes collègues en train d’engouffrer des sandwiches à l’aspect douteux en me demandant comment faire bonne contenance. Pas de déjeuner en équipe ? Pas de pause déjeuner ? Mais où étais-je tombée ? Heureusement, mon « parrain », un Anglais d’origine pakistanaise, m’a prise en pitié et m’a emmenée chercher mon propre sandwich triangle à la gare toute proche. Etant donné que c’était mon premier jour, j’ai gardé pour moi ma diatribe toute prête en l’honneur de la baguette et vilipendant le sandwich triangle.

 

Parce que franchement, les images parlent d’elles-mêmes, non ?

Mais le clou, c’est lorsqu’il en a profité pour me démontrer par A + B que je ferais mieux de filer ma démission au plus vite, parce que SuperConseil ne lui inspire qu’un super mépris, et qu’il est beaucoup trop bien pour cette boîte. Et comme charité bien ordonnée commence par soi-même, c’est ce qu’il compte faire lui aussi. Très bientôt.

– Mais pour toi, c’est plus simple : profites-en tant que tu es en période d’essai, ajoute-t-il, notant sans doute ma perplexité devant ses conseils avisés.

 Ca, c’est de l’accueil chaleureux.

Pourtant, à l’issue de cette première journée, je trouve moult raisons d’être optimiste. Ne serait-ce que par comparaison. En effet, contrairement à mes emplois précédents :

  1. Les bureaux sont en plein centre-ville, et non pas à l’arrêt de bus « Cimetière municipal » avec panorama à l’avenant (véridique)
  2. Il y a plus d’un homme pour dix femmes… et ils sont même plutôt mignons. Le monde du marketing ne va pas me manquer.
  3. A 17 heures 30, tout le monde était parti, ou presque. Je sens que ça aussi, ca va me changer des soirées parisiennes où je rentrais tellement tard du boulot que j’aurais presque pu aller me coucher sans dîner. J’ai bien dit presque, la dernière fois que j’ai sauté un repas, c’était en 1997.
  4. Je l’ai dit, qu’à 17h30, tout le monde était parti ?

Le bilan étant fait, passons au bilan du bilan : d’un côté, un « parrain » qui semble déterminé à faire fuir les nouvelles recrues ; de l’autre, des collègues mignons, des locaux sympas et des journées plutôt courtes. Je devrais y trouver mon compte.

PS : la fameuse photo à venir ce n’importe quoi Friday !
PPS : pour les nouveaux-venus sur ce blog, petit rappel, ceci est un flash-back ! Heureusement qu’on ne vit pas des premières journées de boulot tous les jours…