Comment négocier son salaire à l’embauche (2)

Attention, pour comprendre le billet qui suit, il est impératif (et je pèse mes mots) d’avoir lu celui-ci.

Quelques heures plus tard…

 – Eva in London ?

– (Toujours à la Loulou) : Oui, c’est moi.

– Eva in London, je suis désolée, mais nous ne pouvons pas faire d’entorse à notre grille de salaires. Sinon, c’est le début de la fin, tout le monde va venir râler à mon bureau pour réclamer une augmentation de salaire, c’est juste pas possible. C’est que j’ai un compte Facebook à gérer, moi.

– Ah. Bon, entre-temps je me suis souvenue que je n’avais aucune autre piste et que ce n’est pas mon nouveau blog qui va payer les factures, alors d’accord pour X – 5000 livres. Je suis impatiente de commencer comme Sous-grouillotte !

– Vous faites bien d’en parler. Quand pouvez-vous commencer ?

– Eh bien (pensive)… mes allocations chômage me permettent de vivre confortablement sans rien faire pendant encore trois semaines, alors… disons, dans trois semaines ?

–  Ah, malheureusement nous avons eu huit démissions en trois mois et nous avons désespérément besoin de quelqu’un pour faire tout le boulot inintéressant. Nous allons donc vraiment avoir besoin que vous commenciez dès lundi, Eva in London.

– Bon, ça ne me laisse que quatre jours pour arroser mes plantes et finir ma partie de Civilization, mais je n’ai pas trop le choix, alors ce sera avec plaisir, SuperConseil !

– Parfait, à lundi alors, Eva in London !

Et c’est ainsi que je suis devenue Sous-grouillotte chez SuperConseil.

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Comment négocier son salaire à l’embauche (1)

Ce matin, SuperConseil, mon seul espoir d’arrêter de vivre aux crochets de Prince, m’a enfin rappelée ! Avec quelques mineures modifications, voici le verbatim de notre conversation :

– Eva in London ? me demande une voix féminine lorsque je décroche mon portable.

– (Moi, à la Loulou* 🙂 Oui, c’est moi.

– Eva in London, nous avons le plaisir de vous proposer le poste de Sous-grouillotte dans notre service d’étude de compétitivité de salaires.

– Ah, quelle bonne nouvelle ! J’ai toujours voulu être Sous-grouillotte dans votre service d’étude de compétitivité de salaires, SuperConseil.

– Excellent, excellent. Alors, Eva in London, parlons peu, parlons bien : vous aviez demandé X de salaire. Nous vous proposons X – 5 000 livres. Nous ne pouvons pas aller au-delà, car nous devons nous tenir à la grille de salaires en place chez SuperConseil.

– Ah, mais c’est très embêtant, ça. Je suis très motivée pour être Sous-grouillotte chez SuperConseil, mais pas à n’importe quel prix, quand même. Il m’est absolument impossible d’accepter un tel salaire. Pourriez-vous s’il vous plaît consulter qui de droit pour voir si vous pouvez monter un peu plus haut, par exemple au salaire X ? Car à X – 5000 livres, je perds considérablement par rapport au salaire que je percevais en France dans mon dernier emploi. Enfin, ce n’est pas vrai du tout, mais vous ne pouvez pas le savoir.

– Eva in London, je ne vous promets rien, mais je vais voir ce que je peux faire. Je vous rappelle au plus vite.

Suite et fin dès mercredi ! J’ai suffisamment fait durer le plaisir…

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* Pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas la référence ou qui, au contraire, ne se seraient pas lassés de ce grand moment des années 80 :


Et en version anglaise :

Sitting, waiting, wishing

Ma demi-journée enfermée dans les locaux chez SuperConseil remonte maintenant à plus d’une semaine, et je n’ai toujours pas de nouvelles. Je passe en revue les deux entretiens pour tenter d’y déceler des phrases qui auraient pu me disqualifier pour le poste de sous-grouillotte. Car je n’en serais pas à ma première erreur diplomatique en entretien d’embauche. Exemples choisis :

– Chez un grand nom des cosmétiques, alors que la ma-gni-fique responsable des ressources humaines me plongeait le nez dans une crème soi-disant anti-âges, anti-ridules, anti-poches, anti-cernes, anti-tâches, bref anti-tout, en me demandant « Que vous évoque cette crème ? », ma seule réponse fut de hausser les épaules en hasardant : « Ben… ça sent bon ? »

– Dans une entreprise de lingerie fine, avec une chef de produit absolument détestable et avec qui je me voyais vraiment mal collaborer : « Non, je n’aime pas DU TOUT le travail en équipe. Je travaille bien mieux toute seule, avec personne pour me gêner. C’est comme ça que je donne le meilleur de moi-même. Et, sans me vanter, je sais que je suis excellente ».

– Chez l’un des leaders de l’agro-alimentaire, en face d’un directeur marketing visiblement très sensible aux problématiques environnementales et qui hurlait : « VOUS N’AVEZ PAS HONTE D’AVOIR CONTRIBUE A VENDRE DES SERPILLIERES JETABLES ? VOUS SAVEZ QUE CA MET DES MILLIERS D’ANNEES A DISPARAITRE ? VOUS VOUS RENDEZ COMPTE DU CRIME DONT VOUS VOUS ETES RENDUE COUPABLE ? ». Moi, d’une petite voix : « Euh… non ? ».

– Dans une grande entreprise de détergents : « J’ai très envie de travailler dans l’agro-alimentaire. (Silence consterné de mon interlocuteur). Ah, vous n’en faites pas ? Euh… mais les détergents, c’est très bien aussi »

– Dans une entreprise de dix salariés : « Comptez-vous faire des enfants ? » (je sais, j’aurais dû les attaquer pour discrimination). A cette question, je vous conseille une autre réponse que de vous écrier « Ben, j’aimerais bien, mais ça ne risque pas, mon mec n’en veut pas ».

Et vous, quels sont vos meilleurs et pires souvenirs d’entretien d’embauche ?

Entretien d’embauche en anglais – troisième et dernier épisode

L’entretien avec Sharon, la responsable des ressources humaines, se déroule sans incident notoire – les cinq premières minutes. C’est-à-dire jusqu’à ce qu’elle en arrive, perplexe, à mon CV :

– Votre school of management… c’était une licence ou une maîtrise ?

Je réfrène une envie de hurler « C’est une super école, t’en as jamais entendu parler, espèce de xxx ? ». Révéler ma vraie nature (colérique et instable) me paraît en effet peu indiqué à ce stade de l’entretien. Je passe donc sous silence :

– Quatre années de collège obnubilées par la perspective d’intégrer un bon lycée – écrémage oblige, j’ai privilégié l’excellence scolaire sur l’épanouissement amoureux. Pourtant, avec mes lunettes à quadruple foyer, je suis sûre que j’aurais fait un malheur.
– Trois années de lycée obnubilées par la perspective d’intégrer une bonne classe préparatoire – dossier oblige, j’ai privilégié l’excellence scolaire sur l’épanouissement amoureux. Pourtant, avec ma coupe à la Jackson, je suis sûre que j’aurais fait un malheur.
– Deux années de classe préparatoire obnubilées par la perspective d’intégrer une bonne école – concours oblige, j’ai privilégié l’excellence scolaire sur l’épanouissement amoureux. Pourtant, avec mon look 70s décontracté (chapeau vert et manteau en peau de mouton),  je suis sûre que j’aurais fait un malheur.
– Trois années d’école obnubilées par la perspective d’intégrer une bonne entreprise – recherche d’emploi oblige… euh, non, là, je n’avais vraiment plus d’excuse.

Au lieu de noyer Sharon sous quinze ans de frustration (la pauvre, sa question n’était pas absurde : ici, la plupart des jeunes diplômés commencent leur vie professionnelle avec une licence en poche… on est bien loin du merveilleux système scolaire français), je souffle un grand coup et réponds, sourire aux lèvres :

– Non, c’est un mastère en management.

Sharon a l’air de se satisfaire de cette réponse comme des suivantes. Elle doit même se dire que ça vaut le coup de sortir le grand jeu, puisqu’à la fin de l’entretien, elle me présente fièrement :

– la structure : 

– le poste : « Sous-grouillotte dans le service d’étude de compétitivité de salaires de SuperConseil, constitue vraiment une opportunité en or ». « Ah bon ? » réponds-je, interloquée par cette affirmation quelque peu péremptoire. « Tout à fait, rétorque Sharon sans se laisser démonter. Par exemple, vous pourrez aider les grouillots et grouillots améliorés à préparer leurs présentations Powerpoint ». Ah.

– et surtout, surtout, les fameuses valeurs de l’entreprise : « Nos trois valeurs sont l’innovation, l’honnêteté et la fiabilité », m’explique Sharon, avant d’ajouter sans ironie apparente : « Ces corporate values nous distinguent radicalement des autres cabinets de conseil du marché ». Qui sont, eux, obsolètes, fourbes et incompétents ? Passons. A ce stade, j’ai subi suffisamment de lavage de cerveau pour être remontée à bloc pour mon entretien final avec Joe et Mark – respectivement ponte adjoint et grouillot amélioré.
Lorsqu’ils rentrent dans la salle de réunion où je croupis depuis maintenant presque quatre heures, je manque tomber de ma chaise.
C’est Laurel et Hardy.

Joe est petit et tout maigre, tandis que Mark doit peser dans les 130 kilos pour 1,90 mètre. Il me faut puiser dans mes dernières réserves d’énergie et de pipeautage pour boucler l’entretien sans dire d’ânerie – ni appeler mes interlocuteurs par leur nom de scène. Quarante minutes plus tard, mon calvaire s’achève enfin :

– Eva in London, nous vous tenons au courant de la suite très rapidement, m’assure Laurel en me serrant la main.
– Merci beaucoup, et à bientôt, Laurel… euh, pardon, Joe.

Il ne me reste plus qu’à croiser les doigts pour être embauchée, non par choix, mais par élimination. On ne doit pas quand même pas être très nombreux à avoir survécu à plus de quatre heures d’examens – pardon, d’entretiens ?

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Entretien d’embauche en anglais – deuxième partie

– Merci beaucoup, me sourit la jeune responsable des ressources humaines lorsque je lui tends mes tests (tant bien que mal) remplis. Je reviens dans 25 minutes, le temps de les analyser, pour vous informer de la suite. D’ici là, n’hésitez pas à vous détendre (?).

Hum. J’avais presque oublié que SuperConseil n’en avait pas fini avec moi. Taraudée par la désagréable impression d’avoir épuisé mon quota d’intelligence pour la journée, je n’ai qu’une envie : rentrer fissa à la maison pour me consacrer à de hautes tâches autrement plus importantes, par exemple tenter de dominer le monde dans la partie de Civilization que j’ai en cours.

Heureusement, le principe de réalité me rappelle que l’Etat anglais, si généreux soit-il, ne compte m’entretenir que pendant cinq semaines supplémentaires. A défaut de partir en courant, quelle solution ? Je réalise alors que, fait rarissime, je n’ai pas mangé depuis presque trois heures, et me précipite sur la corbeille de petits biscuits anglais qui trône sur la table. Trois Digestive et deux Bourbon Cream plus tard, et sous l’effet conjugué du sucre et du gras, me voici dans de bien meilleures dispositions. Plutôt que de relire sagement mes notes d’entretien (« Pourquoi j’ai toujours voulu travailler chez SuperConseil », « Pourquoi j’ai mis trois ans à m’en rendre compte»), je me poste devant l’immense baie vitrée de la salle de réunion pour observer ceux qui pourraient bien être mes futurs collègues :

– Dans une autre salle, une dizaine de personnes somnolent plus ou moins discrètement devant une présentation Powerpoint.

Agréable surprise : on dirait que SuperConseil aime les réunions inutiles mais au cours desquelles il est malgré tout crucial d’ouvrir la bouche de temps en temps pour 1. rappeler qu’on est là et 2. faire croire qu’on a un point de vue sur la dite présentation. Bonus : entre deux interventions incompréhensibles mais pleines de mots stratégiques comme « création de valeur » et « efficience », on peut se rendormir la conscience tranquille.

– A ma gauche, dans un petit bureau, une altercation semble poindre entre deux employés (« Comment ça, je n’ai pas rempli mes objectifs cette année ? »). Encore un indice positif : chez SuperConseil, on a apparemment le droit de s’énerver, du moins si j’en juge par les visages (respectivement furieux et apeuré) des deux SuperConsultants.

– Dans l’open space de droite, je note des chocolats qui traînent, des gens qui papotent tranquillement, une tasse de thé à la main, et des chaises vides devant des pages Facebook restées ouvertes. Que du bon.

SuperConseil m’a tout l’air d’être une boîte dans laquelle je m’intégrerais sans problème, me dis-je en observant tout ce beau monde. Mais, soudain, une vision pour le moins incongrue interrompt ma rêverie.

De l’autre côté de la baie vitrée, dans l’un des open spaces, un individu m’adresse frénétiquement de grands « hellos » de la main.

Est-il là pour faire fuir les candidats potentiels ? Est-ce un piège ? Y a-t-il une caméra cachée quelque part ? Mais où suis-je tombée ?

Avant que je n’aie eu le temps de reprendre mes esprits, la responsable RH revient, souriante.

– Félicitations, vous avez atteint le seuil requis pour nos tests. Je vous propose donc de poursuivre cet entretien ensemble.

Troisième et dernière partie à suivre prochainement !

PS : je n’ai jamais résolu le mystère du fou qui faisait coucou aux candidats sous-grouillots… 

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Entretien d’embauche en anglais – première partie

7h25. Aaargh. Qui a eu la riche idée d’accepter un entretien à 9 heures du matin ? Tu parles de se présenter sous son meilleur jour…

Ca commence mal. Au lieu d’être réveillée par un corps reposé et bienheureux (« ah, j’ai assez dormi, et quelle belle journée pour glander jusqu’au retour de Prince »), c’est une stridente sonnerie qui me tire du sommeil. Il faut dire que la nuit a été agitée, entre peur de ne pas me réveiller à temps et visions cauchemardesques d’Anglais se moquant de mon accent à couper au couteau. Je tâte de la jambe le coin du lit encore chaud laissé vide par Prince. Personne pour me forcer à me lever. Mais il n’est plus temps de tergiverser. Direction : la douche, armée de mon bonnet Mickey pour protéger un brushing chèrement payé hier soir. Peine perdue : à la sortie, ma chevelure est un savant mélange de frisottis informes et de baguettes chinoises complètement saugrenues sur ma tête d’Européenne.

On reste concentrée. Passons à la tenue. Là, les choses sont beaucoup plus simples : j’ai en tout et pour tout UN tailleur. Il ne fait pas du tout l’affaire – c’est un tailleur d’été, bleu clair, un peu élimé par dix ans d’utilisation parcimonieuse, et nous sommes en plein hiver – mais la flemme l’a emporté sur  la motivation. Après tout, ce sont les compétences qui comptent, n’est-ce pas ? Passons sur le fait que le poste consiste en grande partie à rencontrer des clients pour leur proposer les services de SuperConseil, qui serait donc en droit d’avoir quelques exigences limitées en ce qui concerne ma présentation.

Réveillée par la double prise de conscience brushing qui ne ressemble plus à rien + tailleur datant des années 70, je cours jusqu’à l’arrêt de bus (ma coiffure n’est plus à ça près) pour arriver à l’heure à l’entretien. J’ai l’agréable surprise de découvrir des locaux rutilants : SuperConseil se trouve dans un bel immeuble qui affiche non moins de SIX ascenseurs pour quatre étages. Y a pas à dire, me voici arrivée dans le monde merveilleux du conseil.

Je viens à peine de m’installer dans une grande salle de réunion lorsqu’une jolie jeune femme entre et, d’après ce que j’en comprends, m’explique que je vais devoir passer deux tests successifs :

– l’un en mathématiques (pour pouvoir calculer à quel prix vendre les prestations de SuperConseil ?)
– et l’autre en raisonnement (pour démontrer aux clients que non, ce n’est vraiment pas cher, et que même si oui d’accord c’est quand même un peu cher, le retour sur investissement est excellent ?)

Presque deux heures passent ainsi dans une véritable course contre la montre – et contre mon cerveau qui hurle sa révolte d’être mis à contribution après des semaines de léthargie avancée. En nage, plus frisottée que jamais, je remets donc ma copie en croisant les doigts pour accéder au round suivant. Parce que, comme à la télé, chez SuperConseil, on sait rapidement si on est sélectionné pour la finale.

A suivre…

Rentrée des classes (enfin !)

C’est bien joli de râler sur les déboires de l’Eurostar, la rentrée ou les habitudes de conduite des Anglais, mais il est maintenant temps de revenir à notre récit : celui des tribulations d’une Française à Londres. Pour celles et ceux qui prendraient le train en route, vous trouverez ici un peu de contexte.  Et comme je me sens d’humeur généreuse en ce début d’année, voici même un rapide résumé de la situation : nous sommes il y a trois ans, je suis arrivée à Londres dans le froid et la pluie depuis quelques semaines, et je m’ennuie tellement que j’en suis arrivée à prendre des photos de poubelles (soyez sans crainte, cela fera l’objet d’un prochain billet).

O espoir, j’ai enfin décroché un entretien chez SuperConseil, un cabinet de conseil en ressources humaines – pour un poste de sous-grouillotte, certes, mais qu’importe, l’Eva in London est en état de mobilisation maximale. Saura-t-elle faire face aux méchants Anglais ?

Questions pour un champion

Aujourd’hui est un jour à marquer d’une pierre blanche. 

Le téléphone a sonné.

Rassurez-vous, les chroniques ne glissent pas inexorablement vers un inquiétant et soporifique nombrilisme : ce qui transforme cette prosaïque information en événement majeur, c’est qu’il s’agissait d’une proposition d’entretien pour le cabinet de conseil en ressources humaines ou j’ai été recommandée par mon ancien responsable de stage. Tests mathématiques, épreuve de raisonnement, entretien avec les ressources humaines : « comptez deux à trois heures », m’ont-ils dit. Sous entendu :

– deux heures si je m’arrête à la case ressources humaines
– trois heures si ça se passe bien et que les opérationnels daignent me jauger en personne
– trois à quatre secondes si je ne suis pas passée chez le coiffeur avant et que je ressemble à ça : 

Je profite de la présence d’un couple d’amis venus nous rendre visite ce WE pour préparer avec eux mes réponses (oups, j’allais dire « ma défense ») :

–  Les ressources humaines ? Si, si, j’adore. Enfin, je n’en ai jamais fait, mais j’aime travailler avec les gens. C’est pareil, non ?

– Les cinq mois de trou sur mon CV depuis mon dernier emploi ? Aïe, c’est plus dur.

« J’aime passionnément glander » ne constitue sans doute pas une réponse appropriée.
« Vous comprenez, j’ai préféré faire un break car j’étais en plein questionnement existentiel, parce bon, j’en suis quand même a ma quatrième reconversion en trois ans… » non plus.
Illumination : pourquoi ne pas survendre ma semaine de bronzette en Turquie sur le mode « je  suis partie découvrir le monde » ? Going travelling, il paraît que c’est très couru ici. Enfin, plutôt quand on survit à une année de vadrouille, sac au dos, avec moins de 10 dollars par jour (le fameux gap year) que lorsqu’on se paye une semaine all inclusive en club, mais sur un malentendu, ça peut toujours marcher.

– Si j’aime tellement les ressources humaines, pourquoi n’ai-je pas postulé dans l’entreprise à l’issue du stage que j’y avais fait ? Réfléchissons ; ce n’est pas parce que ça ne m’intéressait pas, non non… ah, je sais. Je manquais de maturité : il m’a fallu toutes ces années, et ces expériences différentes, pour m’apercevoir que c’est ça (le ça restant à définir, en espérant que les ressources humaines me parlent suffisamment du poste pour pouvoir faire illusion devant les opérationnels) que je voulais vraiment faire dans la vie.

Bon, il va peut-être falloir retravailler deux ou trois petites choses, mais sur le fond, je suis prête. Reste le plus dur : la forme. Une séance de shopping (argh), un peu de maquillage et surtout un RDV chez le coiffeur : avec tout ça, je devrais réussir à leur faire croire que je peux être présentable et crédible face à un client.

Looking for a job

La gentille dame du Job Centre Plus s’étant résignée à me tendre mon chèque de 225 livres toutes les semaines (bon, en fait, il arrive par la poste, mais c’est l’idée), elle est en droit de nourrir certaines attentes à mon égard. Par exemple, que je recherche activement un emploi. C’est là que les choses se corsent. Si on entend par « activement » le fait de surfer pendant des heures sur Internet, alors je remplis mon devoir. En revanche, si cela veut dire envoyer des candidatures…. un peu moins. Parce que, pour faire partir des CV, il faudrait déjà que je sache à qui les destiner.

A ma décharge, je fais preuve de prudence : lorsqu’on a déjà aligné trois reconversions professionnelles à 25 ans, il paraît en effet légitime de peser le pour et le contre d’un quatrième revirement. Entre d’innombrables mois de stage et deux ans de CDI, j’ai ainsi été :

– assistante chef de produit marketing pour des biscuits au chocolat : jusque là, rien que de très classique (mais dévastateur pour ma ligne déjà courbe)

adc

– chef de projet dans une entreprise de cours de cuisine : déjà un peu hors des sentiers battusnouvel eco – journaliste : c’est-à-dire tellement loin des dits sentiers qu’on pourrait dire que je m’étais carrément égarée.

Le problème, c’est que que je n’ai toujours pas retrouvé mon chemin. Vacances au soleil, séjour à la campagne, pèlerinage spirituel et même coaching… rien n’y a fait. J’ai pourtant envisagé suffisamment de métiers différents pour être en mesure de publier mon propre guide des études : ostéopathe ? Je n’aime pas toucher les gens que je ne connais pas. Institutrice ? Les enfants m’agacent vite, je ne suis pas sûre de tenir quarante ans… diététicienne ? Il ne suffit pas, hélas, d’adorer manger. J’en passe, et des meilleures.

Aucun éclair de génie.

Reprenons à zéro. Je suis diplômée d’une bonne école de commerce, et j’habite à Londres ; le secteur financier serait une solution assez évidente. Le hic, c’est que j’ai déclaré, très jeune déjà, une profonde et irréversible allergie à tout ce qui touche à la finance. Et puis, de toute manière, c’est pas comme si le secteur manquait cruellement de bras en ce moment – il n’y a pas une annonce que je comprenne, en tout cas .

Une seule faible lumière au bout du tunnel : un ancien responsable de stage, avec qui j’ai déjeuné avant mon départ de Paris, m’a proposé de faire passer mon CV au bureau de Londres. Il s’agit d’un cabinet de conseil en ressources humaines, dans lequel je recommencerais tout en bas de l’échelle – pas très gratifiant, mais quand on se reconvertit, difficile de faire la fine bouche. J’attends de ses nouvelles depuis déjà deux semaines, et, en attendant, je postule chez les concurrents. Cela me permet de bercer l’illusion que je veux reellement travailler dans cette branche, et puis ça fera sans doute meilleur effet lors d’un éventuel entretien que de répondre : « ben, comme je suis complètement surqualifiée pour le poste que vous me proposez, je me suis dit que ça ne servait à rien de postuler ailleurs ».

Seulement voilà : en Angleterre, personne ne semble connaître le merveilleux système français des écoles de commerce et tutti quanti. Et encore moins le fait qu’une fois rentré à l’école, personne n’y fout plus rien, profitant à fond des centaines d’associations possibles (du ciné-club à l’aviron en passant par la mission humanitaire au Zimbabwe) et des soirées quelque peu arrosées. Si je n’ai pas à rougir de mon diplôme, il en va donc autrement de mes notes – et c’est un euphémisme.

Telle la cigale ayant chanté tout l’été, je me trouvai donc fort dépourvue lorsque le temps des candidatures fut venu : candidatures

Dans ces conditions, comment convaincre un obtus filtre automatique, et qui a justement pour fonction d’éliminer facilement cancres et benêts, de l’excellence de ma candidature ?

C’est pas gagné, cette recherche d’emploi.

Job Centre Plus

Si vous vous demandez à quoi je peux bien occuper mes journées pendant que Prince crée de la valeur pour deux… eh bien, je ne peux qu’avouer, honteuse : à rien. Ou plutôt, si : au grand dam de Prince, je multiplie les vaines tentatives de dominer le monde dans le jeu vidéo qui a bercé mon adolescence, Civilization.

Un petit retour en arrière s’impose.

Ah, les heures passées à oublier le dur monde extérieur, tellement menaçant pour une adolescente réussissant l’exploit d’être à la fois  boutonneuse, myope et frisée. Petite parenthèse pour vous aider à mieux situer : j’ai longtemps été surnomméee « Jackson Five » au lycée. Je me réjouissais d’ailleurs de ce sobriquet qui me semblait marginalement plus flatteur que le précédent, « Quadruple foyer », rapport à mes verres de lunettes si épais que les jours de brouillard on ne voyait plus mes yeux derrière.

Pour en revenir à nos moutons anglais, le problème, c’est que ce que la société excuse chez une jeune fille de quatorze ans pas gâtée par la nature, elle le pardonne nettement moins à une jeune femme de vingt-cinq dont on attend qu’elle ait maîtrisé les règles de base du maquillage… et de la vie en communauté, avec ses droits et ses devoirs.

Par exemple, Sa Majesté attend de moi que je me présente tous les quinze jours au Job Centre Plus (Plus de quoi ? d’argent ? de temps ? de bonheur ??), merveilleux homologue britannique de l’ANPE, pardon de Pôle Emploi. Tâche dont je m’acquitte sans trop de difficultés, étant donné que le Job Centre (Plus, ne l’oublions pas) se trouve à cinquante mètres de la maison.

Non, le problème est d’en ressortir indemne. La question émerge dès mon premier rendez-vous. Ma conseillère attitrée, celle qui va devoir contrôler mon petit carnet de recherche d’emploi deux fois par mois, m’accueille plutôt gentiment etant donné qu’il est tôt et que la double dose de Valium qu’elle doit s’enfiler tous les matins fait encore effet. D’un ton monocorde mais bienveillant, elle m’expose mes obligations, détaille mon joli petit carnet beige… et s’étrangle soudain d’indignation en lisant plus attentivement mon dossier. Il n’y a pas d’erreur : elle va devoir me faire un chèque de 225 livres par semaine, là où les chômeurs britanniques doivent survivre avec… quatre fois moins. Eh oui, si en Angleterre l’objectif de la Job Seeker’s Allowance est de remettre ces paresseux incapables au travail, eh bien en France on prend soin de nos chômeurs, et ce même lorsqu’ils quittent le pays… tant que c’est pour suivre leur conjoint/co-PACSé/concubin. Ouf, vive l’Etat-providence, et vive l’Europe qui force l’Angleterre à me payer les Assedic françaises !

Bref, cela ne vous étonnera guère si je vous dis que j’écourte au maximum mes visites au Job Centre Plus – je suis peut-être parano, mais j’ai vraiment l’impression qu’on m’y regarde de travers. On dirait que les chômeurs de mon quartier ne seraient contre un peu Plus d’équité – quitte à faire justice eux-mêmes.