Comment briller en société… ou pas

– Tu ne devrais pas avoir le droit de parler aux gens. En tout cas, pas aux inconnus, soupire Prince en refermant la porte, consterné. 

Après ce soir, je suis bien forcée de lui donner raison. La plupart de mes proches sont des amis de longue date, qui sont plus ou moins habitués à mon manque de tact et les dégâts occasionnés sont généralement minimes. Enfin, la plupart du temps.

Sur un coup de tête, j’avais décidé d’inviter nos voisines du dessus à venir prendre un verre à la maison. Prince n’étant pas très liant, l’aspect « vie sociale » de notre couple m’incombait en effet à Paris ; alors, pourquoi pas à Londres ?

Il faut savoir que, sur le papier, nos voisines sont probablement le fantasme d’une bonne partie de la gent masculine : un couple d’Asiatiques lesbiennes. Consciente d’être sur un terrain plus que glissant en écrivant ces lignes, je préfère couper court à l’imagination : la première est jolie, sans plus, tandis que l’autre… eh bien, ressemble plus à un adolescent grassouillet et binoclard qu’à la vision sensuelle qu’en ont les innombrables individus qui tapent avec espoir dans Google ces deux mots magiques : « Asiatiques lesbiennes ».

Si Prince, lui, n’affiche pas sa déception en faisant la connaissance des deux jeunes femmes (qu’il n’avait pas encore rencontrées ; il pouvait donc encore nourrir l’espoir d’une soirée grivoise), c’est moi qui sombre rapidement dans le politiquement incorrect.

Je ne suis pas complètement sûre d’avoir affaire à un couple jusqu’à ce que l’une pose négligemment la main sur la cuisse de l’autre. Bon, là, je suis fixée. Avant que vous m’accusiez d’être coincée, voire un peu homophobe sur les bords, je vous arrête tout net : c’est juste qu’à force de tenter désespérément d’avoir l’air normale, je débite encore plus d’âneries que d’habitude.

Au début, je me tiens encore à peu près correctement. Musique d’ambiance, chips aux parfums psychédéliques comme les Anglais savent si bien en inventer : 

(en l’occurrence, mangue et cheddar, mais on avait le choix entre cheddar/échalotes caramelisées, vinaigre, roast beefs et chips de panais… et encore, ce n’est qu’un mince échantillon), bonne bouteille de vin : nous réussissons à trouver des sujets de conversation pendant pas loin d’une heure. Un exploit pour Prince qui, de manière générale, pense qu’il vaut mieux éviter de parler aux inconnus, et pour moi qui malgré les apparences suis très facilement intimidée.

Puis, catastrophe : un silence qui s’éternise. Un soupir d’ennui. Je perds le contrôle de la situation et, prête à tout pour relancer la conversation, je m’écrie (prise de court / prise d’une soudaine inspiration malheureuse) :

– Vous avez déjà regardé la série The L-word ?

Même haussement de sourcils chez nos deux interlocutrices. Consciente de creuser ma propre tombe, je poursuis néanmoins :

– Mais si, vous savez, la série qui parle d’un groupe de lesbiennes, ça se passe à Los Angeles…

Deux paires d’yeux, non, trois en comptant Prince à côté de moi, me dévisagent comme si je venais de me mettre à danser toute nue en pleine réunion de travail. Non, pardon, plus horrifié que ça. Je m’enfonce et bégaie :

– Vous devez en avoir entendu parler… elle a eu beaucoup de succès…

Pathétique tentative de rattrapage : je voulais évidemment dire que si elles en ont entendu parler, ce n’est pas parce qu’elles sont lesbiennes, ça ne me pose aucun problème bien sûr, mais parce que la série est très populaire. Pas qu’auprès des lesbiennes, hein, auprès de gens comme moi aussi.

Nos voisines prennent congé peu après. Prince souligne négligemment que généralement, il est mal vu de faire allusion à la sexualité de ses invité(e)s, en particulier la première fois qu’on les rencontre. 

J’ai dû oublier les règles de base de la vie en société en traversant la Manche.

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35 réflexions sur “Comment briller en société… ou pas

  1. Ne t’inquiète pas. Si elles ont déjà capté les codes de la politesse anglaise, elles te feront de grands sourires à votre prochaine rencontre. Pas sûr qu’elles reviennent chez vous, cependant. De toute façon, je crois qu’ici on rencontre les gens plutôt à l’extérieur que chez soir.
    Bonne journée

    • Tu as tout a fait raison sur le fait que les Anglais se voient plutot au pub que chez eux. Je me demande pourquoi ?
      En tout cas, elles ne m’en ont effectivement pas tenu rigueur et on se fait toujours de grands sourires dans l’escalier 🙂

  2. oups, les deux pieds dans la gamelle comme on dit par ici ! pas sûre qu’elles vous invitent en retour à moins qu’elles n’aient de l’humour et le sens de la dérision. Dommage que ce soient des proches voisines !!! racontez nous la suite, vous êtes un rayon de soleil dans la morosité de l’hiver.

  3. Aaaah mais tu fais durer le suspens pour les résultats de l’entretien!!
    Je te souhaite bien du courage avec les ados boutonneux que les mots clé « asiatiques lesbiennes » vont attirer ici!!

  4. Tu es brillante!! La prochaine fois, si tu invites un couple d’homos et qu’un silence s’installe, parle leur de la série Angels in America et que tu as a-do-ré!
    Bon, tu m’invites quand pour un apéro?

    Zaza

  5. c’est comme si tu parlais de spin city à un parkinsonien ou de prison break à un ex-taulard… j’suis sûre que notre esprit aime parfois nous jouer des tours juste pour nous mettre dans le pétrin (et nous permettre d’alimenter nos blogs ! lol)

  6. Prince ne se sent pas floué pour vice caché des fois ? lol
    Je ne voudrais pas dire, mais (je l’écris quand même), si Google te ramène des visites avec l’expression « asiatiques lesbiennes », c’est que tu es bien référencée !
    Je préciserai quand même qu’un couple de lesbiennes est aussi un fantasme de femmes si si 😛 Et, que certes c’est un fantasme d’hommes, mais ils oublient de prendre en compte la nature d’une lesbienne … elle a peu de chances de s’intéresser à un homme …
    J’en déduis que tu ne dois pas être très belle à regarder nue ou tu ne sais pas danser au choix lol 😛

    Tu n’as pas essayé de jouer sur les soucis de ne maitriser une langue étrangère ? lol Et si tu avais été juste toi sans sur-jouer, que serait-il advenu ? lol
    Au milieu de tout cela, on se demande si c’est représentatif de tes essais de lier des liens depuis trois ans à Londres vu que tu cherchais des amis dans les premiers posts :p

    Le Sainsburry où j’allais n’avait pas autant de variétés en parfum de chips !

  7. Bravo pour ce blog, il est plein d’humour. Vos articles me remontent le moral quand moi, jeune française rêvent de m’installer. Continuez à nous faire découvrir cette culture magnifique même si elle est, comment dire… un peu à part.

  8. Très drôle comme toujours!!! je suis fan et du genre « pieds dans le plat » comme toi, mais finalement qu’y-a-t-il de gênant à aborder ce genre de sujets puis par définition ces sujets là ne posent pas problème puisque nous sommes très ouverts d’esprit  Que celui qui comprend ça lève la main !!!
    Juste petit point perso : j’ai enfin succombé, j’ai acheté le livre de notre amie Julia !!

  9. J’ai tout simplement adoré!!!! Surtout le passage avec la série The L-Word (que je connais) !!!! J’ai bien rigolé. Merci encore pour ce doux moment, et à bientôt

  10. En attendant, si elles ne connaissant pas the L-Word, c’est qu’elles ne sont pas très funs ! donc ne t’en fais pas, reste toi même (genre un peu gaffeuse mais trop marrante).

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